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Ligne par ligne, le trafic des bus RATP ce mardi 17 décembre en  Ile-de-France - Capital.fr

Décentralisation à la française

 

Comme beaucoup de situations limites, l’épidémie du Covid-19 révèle jusqu’à l’absurde la dégradation de nos institutions. Un exemple criant a été fourni ces jours-ci par Valérie Pécresse, président de la région Ile-de-France. En cause, sa gestion à la tête du vénérable Syndicat des transports de l’Ile de France, mieux connu sous la marque « Ile de France mobilités » (IDFM) qu’il a adopté en 2017. Il parait que « mobilités » fait nettement plus moderne que « transports ». Et puis, « syndicat », c’est un mot tellement laid…

En fait, IDFM ne transporte personne : le Syndicat ne fait que concéder la tâche de transporter les usagers à des transporteurs, qui peuvent être privés – c’est le cas pour un certain nombre de lignes de bus de banlieue – ou publics, tels la SNCF et la RATP. Le Syndicat empoche les tickets et abonnements puis paye les transporteurs.

Aujourd’hui, « Ile de France mobilités » va mal. La faute à l’épidémie, qui a provoqué pour les quatre derniers mois une baisse massive de la fréquentation des transports en commun de la région. Et moins de fréquentation, cela veut dire bien moins de tickets et d’abonnements achetés. Or, même si le service a été réduit, avec moins de trains et moins de bus, les frais fixes continuent à courir. IDFM se retrouve alors avec un gros déficit à couvrir, estimé à 2,6 milliards d’euros.

Dans un pays normal, ce serait à la Région de couvrir ce déficit. Après tout, dans le cadre de la décentralisation les régions ont fait des pieds et des mains pour obtenir la compétence d’autorité organisatrice des transports, autrement dit, le pouvoir de faire tous les choix qui concernent l’organisation et la tarification des transports publics. Et dans une démocratie, avec les pouvoirs viennent les responsabilités. Si les régions ont le pouvoir de dimensionner leur dispositif de transports et d’en fixer les tarifs, il est normal que ce soit à elles d’équilibrer les budgets. Mais la France n’est pas un pays normal. C’est un pays ou les élus locaux veulent les pouvoirs mais pas les responsabilités. En application de cette règle absurde, Valérie Pécresse à déclaré que IDFM ne paiera pas les transporteurs publics, SNCF et RATP. Hors de question d’augmenter les tarifs, ou de réduire les investissements ou les services pour réduire les coûts. C’est donc l’Etat, ce pélé, ce galeux, qui va devoir payer, sauf à accepter que métros et bus s’arrêtent.

Autrement dit, après avoir expliqué qu’il ne fallait surtout pas que l’ensemble des citoyens français aient, représentés par l’Etat, leur mot à dire sur l’organisation des transports dans la région Ile de France, les élus régionaux décident que c’est à l’ensemble des citoyens français d’en payer l’ardoise. Une illustration de ce principe fondamental qu’on devrait frapper au fronton de toutes les mairies, conseils départementaux et régionaux, juste en dessous de la devise de la République : « Pouvoir sans responsabilité ».

Mais pourquoi l’Etat cède au chantage, pourquoi ne laisse-t-il pas les choses prendre leur cours et les transports s’arrêter, au lieu de couvrir l’ardoise ? Pourquoi ne pas laisser la RATP et la SNCF trainer la Région devant les tribunaux pour l’obliger à payer les frais prévus dans le contrat de concession, comme cela se ferait en Allemagne ou aux Etats-Unis, ces deux pays fédéraux qu’on nous présente en exemple à tout bout de champ ?

Mais nous ne sommes pas en Allemagne ou aux Etats-Unis. En France, l’Etat tire sa légitimité de la confiance qu’ont les citoyens dans sa capacité à préserver l’intérêt général et à le protéger des frasques des « barons » locaux. S’il venait à déclarer que le transport des franciliens n’est pas son problème, qu’il n’est pas là pour couvrir les défaillances des « barons », il se détruirait lui-même. Valérie Pécresse – mais aussi les autres « barons », parce que vous ne trouverez pas un seul conseiller régional d’Ile-de-France pour dire que ce n’est pas à l’Etat de payer – sait donc qu’elle joue sur du velours. Il y a zéro chances que l’Etat dénonce son bluff en arrêtant les transports.

Parce que c’est l’Etat et non les collectivités locales qui sont vus par les citoyens comme garant des services publics qu’il est soumis au chantage permanent d’élus locaux qui prétendent tout décider, mais qui se lavent les mains dès que les choses se gâtent. Et comme les élus savent parfaitement que l’Etat ne peut pas, en France, laisser tomber une collectivité, cela permet tous les abus. Souvenez-vous il n’y a pas si longtemps quand l’Etat avait du couvrir les pertes de collectivités qui avaient souscrit imprudemment des emprunts toxiques. Mais insinuez seulement que l’Etat devrait avoir plus de pouvoirs de contrôle puisqu’il couvre les dégâts, et on vous accusera d’être un indécrottable jacobin.

Le pouvoir décentralisé, en France, est un pouvoir irresponsable. Une irresponsabilité que les élus locaux cultivent soigneusement, comme en témoigne les lois successives qui cherchent à protéger les élus des responsabilités civiles et pénales attachées à leur fonction. Cette irresponsabilité vient aussi du fait que la demande de décentralisation vient plus des élus locaux que des citoyens. Et du coup, alors que les élus locaux demandent et obtiennent chaque fois plus de pouvoirs, les citoyens placent toujours la responsabilité chez l’Etat central. Si demain les transports parisiens s’arrêtaient faute de financement, qui serait cloué au pilori ? Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron ?

Descartes

Tag(s) : #Services publics
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