Par Laurent Herblay
Le banquier européen le mieux payé a touché 64 millions d’euros en 2019, un salaire qui en dit long sur notre époque, indécente et injuste pour ses inégalités extravagantes, estime Laurent Herblay, auteur de « Le néolibéralisme est un oligarchisme » (Librinova).
Dans une dépêche consacrée à l’émigration de riches banquiers de la City dans le sillage du Brexit, l’AFP révèle un chiffre significatif : le salaire le plus élevé des banquiers de l’Union européenne (UE) en 2019 a atteint 64 millions d’euros. Dans la même dépêche, la célèbre agence souligne que près de 5 000 banquiers ont gagné officiellement plus d’un million d’euros en 2019 dans l’UE, dont 3 500 environ en Grande-Bretagne contre 492 en Allemagne et 270 en France.
Bien sûr, notre voisin d’outre-Manche comptait 2,6 % de banquiers millionnaires de moins en 2019, mais cette évolution reste limitée, sachant que le processus du Brexit a démarré en 2016. La domination de Londres dans la finance européenne n’est pas remise en question pour autant. Pour l’instant, ce ne sont que des anicroches assez dérisoires pour qui prend la peine d’étudier sa position globale dans le secteur financier à date.
Cette somme de 64 millions d’euros représente plus de dix fois la moyenne des patrons du CAC 40 !
Le capitalisme oligarchiste a une capacité assez incroyable à propulser les rémunérations les plus élevées toujours plus haut, au niveau des sportifs les mieux payés de la planète. Mais la comparaison n’est pas complètement juste car un banquier n’est pas un influenceur ou un outil publicitaire s’adressant à des dizaines de millions de supporters, et sa carrière est bien plus longue.
Remis en perspective avec la réalité, les chiffres sont stupéfiants : cela correspond à plus de 3 400 smic. En 2015, l'assemblée générale d'actionnaires de Renault avait dénoncé les 400 smic de rémunération de Carlos Ghosn, le PDG de l'époque. Depuis, le monde de la finance a montré qu’il a de la ressource, et qu’il conserve une capacité stupéfiante à toujours faire gagner plus à l’élite de l’élite.
Mais comment une époque peut-elle produire une telle distorsion des revenus ?
N’est-il pas profondément révoltant humainement qu’une personne puisse gagner autant ?
N’est-il pas totalement malsain qu’un homme puisse gagner 3 400 fois plus qu’un autre ?
Comment ne pas être pris de vertige quand on constate que cette rémunération, c’est l’intégralité du salaire que percevraient aujourd’hui plus de 80 smicards pendant toute leur vie salariale, sans être au chômage !
Par-delà son caractère moralement choquant, cette explosion des inégalités est porteuse d’innombrables déséquilibres économiques. Le premier est, assez directement, la chute des bas salaires. Rien ne ruisselle depuis ces sommets et, au contraire, une partie de ces sommes vient directement de l’appauvrissement d’une grande partie de la population, comme le montre l’évolution des États-Unis depuis quarante ans.
Et ces montagnes d’argent perturbent également l’économie en nourrissant une spéculation maladive, puisque ce sont les plus riches qui épargnent le plus et entretiennent les bulles de la finance. Pour couronner le tout, on peut craindre que la fiscalité de ces revenus soit « optimisée », comme ils disent.
Pendant les Trente Glorieuses, les patrons ne gagnaient généralement pas plus de vingt ou trente fois le salaire minimum. Ce faisant, un patron ne pouvait gagner en un an ce qu’un de ses employés gagnait pendant toute sa vie. Voilà, qui était peut-être le sens caché de ce plafond informel des plus hauts revenus. Il y avait une forme de décence dans les inégalités, totalement oubliée aujourd’hui.