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Birmanie :

Aung Suu Kyi n'est pas la seule figure d'opposition


Aung San Suu Kyi est perçue par Washington, Londres ou Paris comme une formidable ambassadrice de l'Occident dans cette région du monde.

Il existe en Birmanie aujourd'hui d'autres opposants tout aussi légitimes, qui ont tout autant souffert de la junte birmane qui entendent exprimer une autre vision de l'opposition, qui peuvent porter d'autres projets qu'elle.

Mais ceux-ci sont inconnus à l'étranger, et à ce titre, invisibles. C'est pour cette raison qu'il faut s'abstenir, surtout quand on est journaliste, de l'applaudir avant de lui poser des questions.

Jacques Follorou

journaliste au Monde

Génération 88

 

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Min Ko Naing avait été condamné à quinze ans de prison, puis à soixante-cinq ans de détention, en 2007, après sa libération en 2006... surnommé le Mandela Birman

Sandar Min élue député

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Sandar Min n'a passé que trois années derrière les barreaux, bien moins que beaucoup de ses codétenus.

« J’ai eu de la chance, certains sont restés en prison pendant près de 20 ans. »

Il y a encore quelques mois, Sandar Min était une des milliers de prisonniers politiques qui croupissaient derrière les barreaux d’une prison birmane. Elle passait ses journées à bavarder avec les autres détenus, en s'efforçant de faire profil bas.

« Nous ne savions pas pour combien de temps nous serions là, le temps passe bizarrement en prison, » nous a-t-elle confié lors d'une récente interview dans sa circonscription de Yangon. Pour échapper à la torture qui venait rythmer les journées de beaucoup de détenus, elle s’en remettait à la « négociation ».

« C’était juste une question de compromis, comme tout en Birmanie » a-t-elle ajouté d’un sourire espiègle. « J’ai juste dû trouver un modus vivendi avec mes geôliers,  je m'efforçais d'éveiller le côté humain qui sommeille en eux. »

Jolpress

Phyo Min Thein 

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compilation Cri du Peuple

débat avec Jacques Follorou,
journaliste au Monde, mercredi 27 juin 2012

 

Aung San Suu Kyi est-elle une icône uniquement en Occident ou aussi dans son pays et plus généralement en Asie ?

Jacques Follorou : Elle est assurément devenue une icône dans les pays occidentaux, qui en ont fait un symbole de résistance à l'oppression, une figure pour la défense des droits de l'homme et la démocratie. Mais elle incarne aussi, pour une partie de la population birmane, une voix pour toutes les personnes ayant été victimes d'une junte birmane qui tient ce pays depuis 1952. Enfin, lors de son récent passage en Thaïlande, on a vu que, aussi bien auprès de la communauté birmane vivant en exil dans ce pays, qu'aux yeux de la population thaïlandaise, elle incarnait ce que pourrait être un ou une dirigeante d'une démocratie moderne en Asie.

Visiteur : Aung San Suu Kyi peut-elle arriver un jour au pouvoir ?

Si d'aventure le processus de démocratisation du pays se poursuit, s'il va jusqu'à son terme, à savoir une démilitarisation du système birman, elle peut accéder, au gré des élections, aux plus hautes fonctions du pays. A ce jour, elle n'est que députée au sein d'une toute petite minorité d'opposition. Au moment où on se parle, les militaires dirigent encore totalement le pays, sont largement majoritaires au Parlement, et contrôlent tous les leviers de commande de la Birmanie. Après, qu'il y ait un sens historique à la voir en fonction au sommet de l'Etat, cela paraît être une possibilité tout à fait probable, mais pas nécessairement obligatoire. Le pays est encore loin d'avoir engagé un processus irréversible de démocratisation. Elle n'est pas la seule figure d'opposition en Birmanie. Et on est loin encore de connaître son avenir politique.

Adibou :

Aung San Suu Kyi représente-t-elle réellement l'opposition birmane ? Ou y-a-t-il d'autres figures emblématiques ?

Aux yeux de l'étranger, elle incarne assurément l'opposition birmane. Au sein du pays, elle l'est également largement aux yeux des populations urbaines. Les récentes campagnes électorales, l'ouverture de l'information ont davantage fait connaître sa personnalité, son parcours, son existence politique dans les zones rurales et les régions les plus reculées. 

Mais il existe en Birmanie d'autres éminentes figures représentant l'opposition au régime militaire. Tout d'abord, les principaux dirigeants de ce mouvement qu'on a appelé la génération 88, qui ont effectué de très longs séjours en prison, et dont une bonne part ont été libérés au cours des six derniers mois.

Le plus connu d'entre eux, Min Ko Naing, surnommé le "Mandela birman", jouit d'une très grande popularité en Birmanie. Deux autres piliers de cette génération, Sandar Min et Phyo Min Thein, ont été élus aux élections partielles du 1eravril, au cours desquelles Aung San Suu Kyi a également remporté les suffrages lui donnant accès au Parlement.

Par ailleurs, il existe une force politique qui s'est exprimée en 2007, lors de la"révolution de safran", à savoir les moines bouddhistes. Nombre d'entre eux ont été emprisonnés, beaucoup n'ont pas encore été libérés. Peu de gens aujourd'hui sont en mesure de dire si ces religieux entendent jouer un rôle politique dans l'avenir de la Birmanie et, si oui, sous quelles formes ? 

 Enfin, le LND, le parti d'Aung San Suu Kyi, n'est pas la seule formation d'opposition. Des dissidents de ce parti avaient tenté ces dernières années d'autres voies pour faire évoluer le régime. Le retour sur la scène du prix Nobel 1991 et l'ouverture du régime par ses dirigeants les ont aujourd'hui marginalisés, mais ils existent et souhaitent encore jouer un rôle dans l'avenir.

Rodriguez : Est-elle vraiment une démocrate ?

Tout son combat politique est construit sur la promotion d'un système démocratique dans son propre pays. C'est pour avoir porté ce projet et ces valeurs qu'elle a été privée de liberté de mouvement pendant tant d'années. On envisage très difficilement aujourd'hui qu'elle puisse avoir d'autres desseins à l'esprit que d'instaurer un régime pluraliste transparent et respectueux des libertés individuelles.

Néanmoins, ce n'est que le début de la transition politique qui est engagée aujourd'hui en Birmanie. Les écueils sont extrêmement nombreux et lourds. L'avènement d'un régime pleinement démocratique n'est pas pour tout de suite. Premièrement, la structure administrative de ce pays est encore trop faible et trop peu éduquée pour gérer une démocratie digne de ce nom. Se pose également la question des minorités ethniques, qui est loin d'être résolue.

En ce moment même, des combats perdurent sur les zones frontières de la Birmanie avec l'armée régulière. Et enfin, parmi d'autres inconnues, la capacité de résistance des corps militaires intermédiaires qui viennent d'accéder au pouvoir des régions constitue une véritable menace sur le bon déroulé de la transition en cours.

Yoyoma : Pensez-vous que l'instauration de la démocratie soit possible en Birmanie ? Si oui, quelles sont les étapes à franchir ?

Possible, oui ? Irréversible ? Non, pas encore.

Tout d'abord, le Parlement. L'armée bénéficie toujours d'un quota de sièges réservé. L'opposition ne dispose que d'une partie limitée de sièges. Tant que la totalité de la représentation n'est pas liée au seul et unique processus d'élections transparentes respectueuses du droit, il est difficile de considérer la Birmanie comme une démocratie digne de ce nom.

De même, l'essentiel des responsabilités politiques de ce pays, à commencer par la présidence, doivent être également soumises à un suffrage démocratique, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui.

Enfin, la Birmanie ne dispose pas des moyens de faire fonctionner la démocratie. Ses fonctionnaires ne sont absolument pas formés pour gérer ce type de système. C'est d'ailleurs l'une des plus grandes faiblesses qui pèsent aujourd'hui sur le processus de transition birman.

Romain : L'admiration et la sympathie de l'Occident pour Aung San Suu Kyi ne cachent-elles pas en fait un désir de conquête d'un nouveau marché pour l'Occident et ses multinationales, marché jusque là fermé par la junte birmane ?

Valter : Au delà de ce qu'elle représente pour l'avancée de la démocratie et des droits de l'homme dans son pays, que cache l'intérêt si prononcé des Occidentaux pour la dame de Rangoon ?

Il me semble évident que derrière l'idolâtrie occidentale, qu'elle soit naïve ou faussement naïve, se dissimulent des appétits commerciaux et politiques. C'est d'ailleurs l'un des reproches que l'on a pu entendre auprès de responsables économiques asiatiques contre la dame de Rangoun, à savoir qu'elle portait les intérêts occidentaux au détriment de ceux de ses voisins de la région. 

La Birmanie est historiquement sous influence chinoise, il est clair que les Occidentaux, à commencer par les Britanniques, anciens colons, les Américains, ou même les Européens, sont très désireux de conquérir de nouvelles parts de marché dans une zone encore à développer.

Le sol birman est plein de matières premières, les infrastructures doivent être multipliées, le système bancaire est encore à créer.

C'est une nouvelle frontière.

D'ailleurs, ces derniers mois, on aperçoit de plus en plus de Falcon d'hommes d'affaires occidentaux garés sur l'aéroport de Rangoun.

Jean-Matthieu  : L'Occident s'intéresserait-il autant à la Birmanie sans cette"icône" que représente Aung San Suu Kyi ?

La personnalité d'Aung San Suu Kyi joue indéniablement un rôle dans ce débordement d'admiration dont elle est l'objet. Elle a vécu en Europe, des proches parents sont britanniques, franco-canadiens, français. Elle-même a longtemps vécu en Angleterre. A ce titre, elle maîtrise parfaitement les codes occidentaux. Par ailleurs, elle a su faire résonner avec son propre combat les valeurs occidentales de droits de l'homme et la défense de la démocratie.

En ce sens, elle est perçue par Washington, Londres ou Paris comme une formidable ambassadrice de l'Occident dans cette région du monde.

Yoyoma : Comment expliquez-vous le faste avec lequel Aung San Suu Kyi est reçue à l'Elysée, et plus généralement en France et en Europe, alors qu'elle n'est que députée de son pays ?

Tout d'abord, les capitales occidentales ont toujours apporté leur soutien au combat de cette femme. Aujourd'hui, ce n'est pas que de la communication, c'est aussi une façon de rendre justice à un combat politique qui a été payé par une longue privation de liberté. Par ailleurs, elle incarne aujourd'hui, avec d'autres mais en premier lieu, une transition historique dans un pays que l'on croyait immuablement tenu par une junte sanguinaire. Il n'est pas totalement inconcevable que les démocraties occidentales saluent l'avènement d'une forme de liberté, même si c'est très loin de leurs frontières.

Néanmoins, je concède bien volontiers que les manifestations journalistiques ou politiques d'adulation me paraissent parfois déplacées au regard de la réalité des enjeux.

On ne peut pas, sous prétexte d'être en admiration, faire l'abandon d'un esprit critique, y compris au sujet de cette grande dame. Elle est aussi engagée dans des jeux de pouvoir politique tout à fait classiques. Sa tournée européenne est à la fois la matérialisation de la transition démocratique birmane, mais elle est aussi le moyen pour le prix Nobel 1991 de capitaliser à l'extérieur un poids politique qui lui est nécessaire pour s'imposer sur la scène intérieure birmane. 

 Il existe en Birmanie aujourd'hui d'autres opposants tout aussi légitimes, qui ont tout autant souffert de la junte birmane, qui entendent exprimer une autre vision de l'opposition, qui peuvent porter d'autres projets qu'elle. Mais ceux-ci sont inconnus à l'étranger, et à ce titre, invisibles.

C'est pour cette raison qu'il faut s'abstenir, surtout quand on est journaliste, de l'applaudir avant de lui poser des questions.

QG : J'ai cru comprendre que Mme Aung San Suu Kyi refusait de prendre position sur le sort réservé aux Rohingyas (cette ethnie de confession musulmane à la frontière bengalie, parmi les plus persécutées au monde).

Doit-on y voir de "l'habileté politique" (type : "j'y pense, mais je ne peux encore aborder de tels sujets"), de l'indifférence, ou une adhésion tacite à un consensus birman ?

Tout d'abord, il faut nuancer la position d'Aung San Suu Kyi sur la question des Rohingyas. Lors de son passage à Londres, elle a condamné toutes les persécutions dont pouvait être victime cette population. Aujourd'hui, elle manifeste néanmoins une vraie prudence sur la question des minorités ethniques, qui est au coeur du futur de la Birmanie.

Ce pays est composé d'une multitude de groupes ethniques qui ont des revendications d'autonomie politique, sociale et culturelle. Longtemps, l'armée a justifié son maintien au pouvoir par la lutte contre une menace de désintégration du pays liée à ces revendications autonomistes.

La dame de Rangoun, aujourd'hui, dit qu'elle soutient l'idée d'un Etat fédéral. Mais dans le détail, on ne connaît encore rien des périmètres de souveraineté délégués à chacun. Il ne faut pas non plus oublier qu'aux yeux de ces mêmes minorités ethniques, dont les plus connues sont les Karen ou les Kachin, Aung San Suu Kyi appartient à l'ethnie majoritaire birmane. Les représentants de ces minorités s'interrogent encore sur sa capacité à ne pas prendre en compte ces considérations ethniques dans ses futurs choix politiques.

Enfin, sa prudence peut être aussi interprétée comme un calcul tactique au regard du dialogue qu'elle a entrepris avec l'establishment militaire pour faire évoluer le pays. Elle sait que la question ethnique est l'une des plus sensibles et que, si elle veut ne pas rompre le processus en cours, elle ne doit pas tenir un discours qui pourrait être perçu comme une provocation et compliquer la transition en cours.

Visiteur : Quelles sont les raisons de l'ouverture souhaitée par la junte ? Sont-elles seulement économiques ?

Emmanuel : Comment expliquez-vous le changement de comportement du pouvoir militaire depuis 2 ans (avec la libération Aung San Suu Kyi de résidence surveillée, l'organisation d'élections plus ouvertes) ? La Chine fait-elle pression ?

Lorsqu'on interroge Aung San Suu Kyi sur les raisons qui ont, selon elle, poussé les dirigeants de la junte à ouvrir le pays, elle répond que ceux-ci ont avant tout voulu trouver une solution à l'appauvrissement de la Birmanie. Le système éducatif ne fonctionnait pas, les richesses s'amenuisaient, l'absence d'échanges avec l'extérieur isolait le pays, et son administration démontrait son incapacité à gérer un avenir qui s'annonçait de plus en plus difficile.

Par ailleurs, on sait aujourd'hui que cette transition a été décidée par au maximum une dizaine de personnes au sommet du pays. Selon les diplomates occidentaux en poste à Rangoun, une soixantaine de responsables politiques et militaires seraient aujourd'hui actifs dans ce processus. Donc rien n'est définitif.

Cela montre aussi la fragilité des réformes en cours. Quant à la Chine, on a encore du mal à percevoir son degré d'acceptation face à des réformes démocratiques dans un pays voisin sur lequel son influence a toujours été grande. L'année dernière, le régime birman a stoppé un projet sino-birman de barrage dans le nord-est du pays.

Cette décision a été perçue comme un acte fort et de nombreux observateurs s'attendaient à une vive réaction de Pékin, qui n'est à ce jour encore jamais venue.

Mais il est important de noter que l'ambassadeur de Chine à Rangoun est une personne que l'on consulte beaucoup, et dont les mots sont analysés par toutes les chancelleries occidentales.

Le Monde.fr

Cri du Peuple :  

 http://www.mleray.info/article-birmanie-107511542.html

 

Tag(s) : #Contre l'impérialisme
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