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L’ingérence étrangère en Haïti :
quelle démocratie?
 
1)  Le rôle des gandes puissances
     dans le deuxième coup d'état contre Aristide



Le Canada, la France et les États-Unis ne cessent de répéter qu’ils désirent guider Haïti vers la démocratie et la bonne gouvernance. Pourtant, le deuxième coup d’État en 2004 contre le président démocratiquement élu Jean-Bertrand Aristide a été froidement calculé et fomenté en sous-main par ces trois pays. Un mélange bien dosé de désinformation et de diabolisation du président ont servi de prélude à un enlèvement travesti en départ volontaire.

 

Des élections « frauduleuses »

 

Jean-Bertrand Aristide a été réélu en mai 2000 avec une majorité écrasante, tout comme la première fois en 1990. Le président et son parti Fanmi Lavalas (l’Avalanche du peuple, FL), ont remporté plus de 75% des voix, lors de ces élections qui se sont déroulées sous le regard d’environ 200 observateurs internationaux. « Au lendemain des élections, la porte-parole de l’Organisation des États américains (OEA), Mary Durran, a confirmé qu’« [ils] n’avaient pas observé d’irrégularités majeures [1] ».

 

Une coalition d’observateurs indépendants nommée International Coalition of Independent Observers, formée de Pax Christi, Global Exchange de Californie, Quixote Center à Washington, DC et Witness for Peace a fait le même constat :

« Nous avons été témoins d’irrégularités mineures aux bureaux de vote, mais il n’y a pas de preuve manifeste que les électeurs inscrits ont fait face à des problèmes majeurs […] »

 

Mais on ajoute ceci :

 

Deux élections ont été tenues avec succès et des taux de participation élevés malgré des obstacles considérables comme les défis posés par un analphabétisme massif, la pauvreté, les infrastructures défectueuses et, à défaut de son soutien, la surveillance souvent excessive de la communauté internationale, particulièrement des États-Unis.

 

Les résultats de ces élections ont évidemment déplu à l’opposition qui s’est empressée de les contester et de dénoncer un « coup d’État électoral ». Charles Arthur, pourtant critique de FL, a pour sa part admis que le parti d’Aristide « avait gagné ces élections car il était le seul parti à avoir proposé un "programme politique cohérent" et détaillé (amélioration des infrastructures, en santé et en éducation, investissements dans le microcrédit et les coopératives de paysans) et à avoir mené une campagne active basée sur la "mobilisation des efforts des jeunes activistes du parti à travers le pays" [2] ».

 

Inacceptables pour les candidats de l’opposition, les résultats des élections le seraient aussi pour les grandes puissances qui les soutenaient. S’en est suivi ce que Peter Hallward a qualifié d’« exercice de propagande des plus impressionnants et des plus invraisemblables de la politique contemporaine » : les ennemis d’Aristide, en Haïti et ailleurs, « ont réussi à persuader la plupart des médias indépendants de représenter le gouvernement élu en 2000 comme non démocratique et illégitime [3] ».

 

En juin 2000, une fois les résultats divulgués, l’OEA, qui n’avait pas « observé d’irrégularités majeures » lors du scrutin, a questionné la méthodologie utilisée pour calculer le pourcentage des votes pour le Sénat. Cette méthodologie avait pourtant été utilisée en 1990 et en 1995 sans qu’on la remette en question.

 

Selon le secrétaire d’État étasunien de l’époque Roger Noriega, ces élections étaient « une farce électorale [4] ». Mariés à la condamnation de l’opposition, laquelle bénéficiait d’un fort appui à l’étranger et dans les médias haïtiens, propriété des plus nantis, ces propos ont rapidement contaminé les médias de la planète à l’époque et pour les années à venir.

 

Les exemples sont nombreux.

En voici quelques uns* :

 

En mai 2000, des élections législatives truffées d'irrégularités portent le parti Lavalas d'Aristide au pouvoir. Six mois plus tard, Jean-Bertrand Aristide est reporté à la présidence à l'issue d'un scrutin boycotté par l'opposition. (Aristide, l’ascension et le déclin, Radio-Canada.ca, 29 février 2004)


La réélection d'Aristide en 2000 avait été aussitôt contestée en raison d'irrégularités. (Hugo Meunier, « Nomination controversée à l'immigration », Cyberpresse.ca, 10 mars 2009) 
 

Aristide version 2000 semble en tout cas animé par un goût du pouvoir à tout prix : les élections législatives de mai, gagnées par son parti, ont été entachées de fraude,  (Véronique Kiesel, « Héros d'hier, Aristide a brouillé son image », Le Soir (Belgique), 28 novembre 2000)

 

Un peu partout, les opérations de vote ont été marquées par une grande désorganisation et de multiples irrégularités.  Jean-Michel Caroit, « Les Haïtiens ont boudé l'élection présidentielle » Le Monde (France), 28 novembre 2000, p. 3.)

 

Les tensions se sont accrues depuis que le parti du président Aristide a gagné des élections législatives frauduleuses en 2000 et que les donateurs internationaux ont bloqué des millions de dollars d’aide. (« Violence Spreads in Haiti; Toll Is Put at 41 », New York Times, 10 février 2004

 

À l’origine d’un blocus de l’aide internationale en Haïti, cette distorsion de la réalité, ne faisait que débuter. Jean-Bertrand Aristide allait bientôt être assimilé à l’un des dictateurs les plus brutaux qu’Haïti ait connu, Jean-Claude Duvalier.

 

Aristide et Duvalier : du pareil au même?

 

L’histoire a démontré plus d’une fois que lorsque les dirigeants des pays exploités ne font pas l’affaire des grandes puissances, élus démocratiquement ou non, ils sont diabolisés. Durant la guerre froide on les accusait d’être communistes, aujourd’hui la tendance est de les accuser d’appuyer le terrorisme.

 

Or, plus souvent qu’autrement, ils sont nationalistes, socialistes et refusent de céder aux dictats impérialistes, comme l’a confirmé Philip Agee, un ancien agent de la CIA, en parlant de l’invasion étasunienne de 1965 en République Dominicaine, voisine d’Haïti : « La révolution n’a pas été réprimée parce qu’elle était communiste, mais nationaliste. »

 

Comme Aristide, Juan Bosch a été le premier président de la République Dominicaine élu démocratiquement au terme d’une dictature soutenue par les États-Unis.

Comme Aristide il a voulu mener des réformes pour améliorer le sort des moins nantis. Comme Aristide lors de son premier mandat, il été renversé quelques mois plus tard. Les États-Unis seraient intervenus après l’éclatement d’une révolte populaire en sa faveur pour éviter que « des communistes » ne s’installent dans leur basse-cour.

 

Hugo Chavez constitue un exemple plus récent de cette façon de faire connue et documentée qui demeure toutefois largement absente des analyses de fond dans les grands médias. Le président du Venezuela a été accusé d’appuyer le terrorisme et d’être un dictateur. Contrairement aux termes « communiste » et « terroriste », l’épithète « dictateur » a l’avantage d’être intemporelle et universelle.

 

Hugo Chavez est le père de la Révolution bolivarienne, un mouvement socialiste visant l’indépendance économique et une réforme de la République pour « en faire une démocratie " populaire et participative" ».

 

En 2002, le président vénézuélien, a été victime d’une tentative de coup d’État portant la signature de la CIA. Un gouvernement fantoche a été installé et aussitôt reconnu par les États-Unis. Quarante-huit heures plus tard, Chavez fort d’un important appui populaire, était remis au pouvoir par des militaires. Revirement : les États-Unis condamnent alors le coup raté.

 

Ce coup est survenu quelques mois après la décision du président vénézuélien de redéfinir le rôle de la compagnie pétrolière publique Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), propriétaire de plusieurs raffineries aux États-Unis, pour « inclure les priorités sociales du gouvernement [...] Dix pour cent de son budget d’investissement annuel doit [dorénavant] être alloué à des programmes sociaux [5]. »

 

De nombreux dirigeants d’Amérique latine ont subi le même sort : qu’ils aient été élus démocratiquement ou non, ceux qui se sont portés à la défense des défavorisés, au détriment des classes sociales supérieures, ont été diabolisés, renversés, voire tués.

 

Néanmoins, la propagande impérialiste rabâchée et d’une évidence criarde trouve toujours écho dans les médias sans être remise en question. La campagne de dénigrement contre Jean-Bertrand Aristide après sa réélection en 2000 est tristement exemplaire. Elle a préparé le terrain au deuxième coup d’État contre lui en 2004.

 

À défaut de pouvoir le battre par des élections démocratiques, les partis d’opposition haïtiens, financés par des organismes étrangers, se sont engagés dans une guerre médiatique qui a porté fruit. Ils ont rapidement dénoncé la « dérive » d’Aristide vers la dictature. Entre Aristide et Duvalier, on ne pouvait faire de distinction. Ces mensonges se sont taillé une place de choix dans les médias occidentaux.

 

Dans un article intitulé « Cauchemar haïtien » paru le 17 février 2004 dans le quotidien québécois Le Devoir, « Jean Bertrand Aristide [est] plus dictateur que président ».

De l’autre côté de l’Atlantique, dans un article du Monde du 4 novembre 2003, « Haïti, la loi des milices », on pouvait lire ceci :

 

Exécutions, trafics d'armes ou de drogue... Haïti vit à nouveau dans la terreur des bandes armées, héritières des "tontons macoutes", et proches du nouveau pouvoir de Jean-Bertrand Aristide.

 

"Sous la dictature des Duvalier père et fils -la période 1956-1986- et pendant le coup d'État militaire -1991-1994-, les raisons de la violence étaient plus claires. Maintenant, on ne sait plus ce qu'il faut craindre, les coups viennent de partout.

 

Toujours dans Le Monde, un article de janvier 2004, « Aristide, du prophète au dictateur » on estimait que « [c]eux qui l'ont porté au pouvoir, en 1990, les idéalistes qui communiaient avec lui dans la théologie de la libération, ont été parmi les premiers à dénoncer en lui la graine de dictateur. [...]Les journalistes de la radio haïtienne, les intellectuels et quelques hommes politiques courageux ont d'abord dénoncé les dérives du régime ».

 

En février 2004, 3 jours avant le coup d’État, on en remettait, dans un chat faisant appel à l’autorité d’un « expert » dans l’article « Qui est vraiment Jean-Bertrand Aristide? » :

 

Manuel : Comment Aristide est-il passé du statut d'homme providentiel à celui de dictateur honni ?

 

Jango : Aristide a-t-il des enfants ? Si oui, envisage-t-il de créer, à l'image des Duvalier, une dynastie de dictateurs ?

 

De toute évidence, la propagande avait fait son chemin dans les esprits.

 

Le New York Times, un journal qui avait fait ses preuves au chapitre de la propagande avec les armes de destructions massives irakiennes inexistantes, allait dans la même direction avec la soi-disant dictature haïtienne en 2004 : on assimilait la révolte fabriquée et financée en grande partie par la CIA à celle ayant précédé le départ de Duvalier :

 

En 1985, une révolte similaire avait débuté aux Gonaïves menant un an plus tard à l’expulsion du dictateur Jean-Claude Duvalier et à la fin d’une dictature familiale de 29 ans.

 

Adolf Hitler l’a bien dit : « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois il devient une vérité ».

 

Notes/Références

 

1. Peter Hallward, Damming the Flood. Haiti, Aristide and the Politics of Containment. London, New York, Verso, 2007, p.76

2. Ibid.

3. Ibid., p. 77

4. Ibid., p. 78

5. Cesar J. Alvarez et Stephanie Hanson, « Venezuela's Oil-Based Economy », Council on Foreign Relations, 9 février 2009.

Julie Lévesque est journaliste au Centre de recherche sur la mondialisation

Tag(s) : #Contre l'impérialisme
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