L'idée de Nation...
Le PRCF, la France et ETIENNE FAJON
Chef de file des députés communistes pendant la dure période dite du « Chemin de l’honneur », longtemps directeur émérite de l’Humanité (ce qui n’a pas empêché la direction du PC-PGE de retirer son nom, ainsi que celui de Cachin et de Vaillant-Couturier de la manchette), Etienne Fajon écrit ce qui suit à propos de l’approche marxiste de la Nation.
Cela montre à quel point le PRCF se situe dans le droit fil des conceptions marxistes-léninistes sur la question du patriotisme et de l’internationalisme (cf le livre de G. Gastaud portant ce titre) et combien à l’inverse, certains « léninistes » qui tremblent devant le mot « nation » comme une poule devant un couteau, sont plus proches qu’ils ne croient du trotskisme que du léninisme dans leur approche de la question nationale.
On m’a appris que la nation est une communauté humaine stable qui est née et s’est constituée historiquement sur la base de quatre caractères fondamentaux : la communauté de langage, la communauté de territoire, la communauté de la vie économique, la communauté de conformation psychique manifestée par la communauté des propriétés de la culture nationale.
La nation française a une histoire et des caractéristiques spécifiques, différentes de celles de l’Angleterre, de la Russie, des États-Unis, de la Chine ou de tout autre pays. Sa vie économique implique, certes, des relations croissantes avec le reste du monde. mais elle est fondée sur les bases industrielles et nationales. Les luttes sociales et politiques y sont marquées par des traits particuliers. La culture française est une culture originale, même si elle fait partie du trésor de la culture universelle.
Le sentiment national s’est développé avec la grande révolution de 1789-1794. Cette révolution a brisé les structures féodales qui faisaient obstacle au développement de la jeune bourgeoisie capitaliste, classe progressiste à l’époque, les barrières douanières à l’intérieur du pays, les différences dans la législation ou les poids et mesures entre les provinces, les privilèges locaux. « Vive la Nation » !
Dans les années qui suivent, ce mot d’ordre devient le cri de ralliement des masses populaires en lutte contre les ennemis extérieurs du pays et leurs complices de l’intérieur (les partisans de l’ancien régime). Les défenseurs de la révolution prennent le titre de « patriotes ».
Comme on le voit par la simple évocation de son origine, le sentiment national est tout le contraire d’une idée réactionnaire. Il se constitue conjointement avec la naissance et l’essor de la démocratie. Mais cela pose naturellement la question. Le sentiment national n’est-il pas incompatible avec l’esprit de classe ? N’y a-t-il pas, autrement dit, une contradiction entre la lutte des classes et la lutte pour l’indépendance nationale ? La réponse est non. Plus précisément il n’y a pas de contradiction pour la classe ouvrière.
En effet, l’histoire du peuple de France montre qu’à chaque époque les intérêts de la classe sociale ascendante, des forces révolutionnaires et d’avenir, s’identifient à l’intérêt national.
Cependant que les intérêts des classes sociales qui ont fait leur temps, des forces rétrogrades, sont contraire à l’intérêt national qu’elles sacrifient à la défense de leurs privilèges. Le rôle national prépondérant de la classe ouvrière apparaît dès qu’elle s’affirme en tant que classe sociale indépendante – à partir du milieu du 19ème siècle pour ce qui concerne la France. La Commune de Paris qui n’a vécu que quelques semaines en 1871 mais qui reste la première expérience au monde d’un gouvernement des travailleurs, est un exemple à cet égard. Incarnation de l’internationalisme – elle comptait en son sein plusieurs socialistes ou démocrates révolutionnaires immigrés-, elle fut l’organisatrice héroïque de la défense nationale contre l’envahisseur prussien, à l’inverse du gouvernement bourgeois de Versailles qui pactisait avec lui.
C’est en vain que certains, pour tenter de justifier leur nihilisme national, font référence à une phrase du Manifeste communiste de 1848 : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut pas leur prendre ce qu’il n’ont pas ». Cette phrase de Marx et Engels décrit simplement une réalité concrète dans laquelle les travailleurs sont dépossédés de tout par la bourgeoisie qui se considère comme propriétaire de tout, y compris de la nation elle-même.
Mais les falsificateurs du marxisme se gardent bien de citer la suite : « Comme le prolétariat doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, se constituer lui-même en nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie » (Marx et Engels, Manifeste du parti communiste).
La responsabilité de la classe ouvrière dans la lutte pour l’indépendance et l’avenir de la nation n’est pas un complément à son combat pour la révolution socialiste ; elle est partie intégrante de ce combat.
L’histoire du parti communiste français est marquée par une conscience de plus en plus nette de cette responsabilité, jusqu’à sa prise en compte pleine et entière. « Nous prolétaires, nous aimons notre pays ».
Cette déclaration de Maurice Thorez à la tribune de la chambre des députés, le 3 avril 1933, deviendra une idée maîtresse du rapport qu’il présente au 8ème congrès du parti à Villeurbanne, en janvier 1936.« Nous sommes les héritiers du grand passé dont l’histoire est faite des efforts séculaires du peuple pour se libérer. C’est seulement dans les classes privilégiées condamnées par l’histoire que l’on a constamment renié la patrie française ».
Oui nous sommes fiers de la grandeur passée de notre pays, fiers de nos grands ancêtres de 1793, fiers des combattants de février et de juin 1848, fiers des héros de la Commune. Oui, nous associons dans un même tribut de reconnaissance émue la masse anonyme des paysans, des artisans, des prolétaires modernes et la remarquable élite d’hommes d’État qui ont fait la richesse, la puissance et la gloire de notre pays.
C’est dans cette période que le Parti communiste français s’est préparé, a préparé les travailleurs aux tâches nationales lourdes de sacrifices qui leur incombèrent pendant les années terribles de la guerre et de l’occupation allemande, au terme desquelles le grand écrivain catholique François Mauriac devait souligner : « seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle au drapeau de la patrie profanée ».
En septembre 1945, première réunion du comité central depuis 1939. Jacques Duclos présente le rapport en conclusion duquel il déclare :« Aucun parti, aucune formation politique n’a fait ce que nous avons fait ; aucun n’a consenti autant de sacrifices à la cause de la patrie. On nous appelle le parti des fusillés. C’est notre fierté ! Rien ne pourra faire oublier ce que nous avons fait pour la France. »
Propos d’Etienne Fajon (membre du BP du PCF de 1945 à 1979 et directeur de l’Humanité de 1958 à 1974) tirés de son livre paru aux éditions sociales en 1979 « L’ABC des communistes« .