par Thierry Meyssan
La presse occidentale salue la témérité de Lakhdar Brahimi qui relève le gant et accepte de remplacer Kofi Annan comme représentant spécial conjoint des secrétaires généraux de l’ONU et de la Ligue arabe en Syrie. En réalité, note Thierry Meyssan, sa mission est toute autre. À défaut de changer le régime de Damas, cet homme de confiance de l’OTAN est chargé de déclencher une guerre civile en Syrie.
- Lakhdar Brahimi et Ban Ki-moon
Suite au deuxième véto russo-chinois interdisant une intervention étrangère en Syrie (4 février), les Occidentaux ont feint de rechercher la paix tout en conduisant une vaste guerre secrète. Sur la scène diplomatique, ils mirent en avant le Plan Lavrov-Annan, tandis qu’en sous-main ils acheminaient des dizaines de milliers de mercenaires et que certains des observateurs des Nations Unies convoyaient les chefs de l’ASL, organisant leurs déplacements malgré les barrages. L’attentat qui décapita le commandement militaire syrien (18 juillet) devait ouvrir la porte de Damas aux Contras et permettre aux Occidentaux de « changer le régime ». Il n’en fut rien.
Tirant les leçons de cet échec, et malgré le troisième véto russe et chinois, les Occidentaux ont choisi de franchir un pas : à défaut de « changer le régime », semer le chaos. Pour cela, ils ont saboté le Plan Lavrov-Annan et annoncé leur intention d’assassiner le président Bachar el-Assad.
L’opération a débuté par des fuites organisées dans la presse. Reuters [1], NBC [2], Le Parisien [3], Le Canard enchaîné [4], The Sunday Times [5] et Bild am Sonntag [6] ont révélé que Barack Obama avait autorisé depuis des mois une ingérence militaire secrète ; que les États-Unis, la Turquie, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne agissaient de concert ; et que cette guerre secrète était coordonnée depuis un quartier général installé sur la base de l’OTAN à Incirlik.
Dès la révélation de l’ordre présidentiel US, Kofi Annan présenta sa démission. Il était devenu vain d’exiger un cessez-le-feu au nom du Conseil de sécurité alors que des membres dudit Conseil revendiquaient être les fauteurs de guerre. L’envoyé spécial des secrétaires généraux de l’ONU et de la Ligue arabe précisa que, désormais, il serait impossible à quiconque de poursuivre sa mission, puisque cette mission elle-même était illusoire au vu des « désunions » du Conseil [7].
Malgré cela, les Occidentaux ont pu compter sur les secrétaire généraux de l’ONU et de la Ligue arabe pour donner une apparence de pacifisme et de légalité à leurs ambitions impériales. Ceux-ci ont donc désigné un nouveau représentant spécial conjoint, Lakhdar Brahimi. Selon le communiqué de nomination, Ban Ki-moon ne lui a pas donné comme mission de mettre en œuvre le Plan Lavrov-Annan approuvé par le Conseil de sécurité, mais d’user de « ses talents et [de] son expérience extraordinaires » pour conduire la Syrie vers « une transition politique, conformément aux aspirations légitimes du peuple syrien » [8].
Pour comprendre ce qui se prépare, il suffit de se souvenir ce que sont « les talents et l’expérience » de M. Brahimi.
Fils d’un collaborateur de l’Occupation française —et non pas d’un héros de l’Indépendance algérienne comme il aime à le faire accroire en utilisant une homonymie—, Lakhdar Brahimi est un des thuriféraires de l’« ingérence humanitaire », expression politiquement correcte pour désigner le néo-colonialisme. Son nom reste attaché au rapport de la Commission qu’il présida sur les Opérations de maintien de la paix. Il ne s’interrogea pas sur la dérive qui a conduit l’ONU à créer des forces d’interposition pour imposer des solutions politiques contre l’avis de belligérants au lieu de veiller à l’application d’accords de paix conclus équitablement entre eux. Au contraire, il préconisa d’asseoir cette gouvernance mondiale sur une doctrine d’intervention et un service de renseignement supra-national [9].
Ainsi fut créé le service « d’appui à la décision ». Par la suite, et sans même en informer le Conseil de sécurité, Ban Ki-moon signa un protocole avec son homologue de l’OTAN (23 septembre 2008), qui lie ce service à l’Alliance atlantique [10]. Voilà pour les « talents ».
Quant à l’« expérience » de M. Brahimi, elle l’a conduit à inventer le régime confessionnel libanais (Accord de Taëf) et à instituer le narco-régime afghan (Accord de Bonn). Il tenta aussi de participer au « remodelage » de l’Irak, c’est-à-dire à sa partition en trois États distincts, dont un sunnite où l’on eut rétabli la monarchie hachémite.
Alliant l’utile à l’agréable, il maria sa fille Rym (alors journaliste à CNN) au prince Ali, de sorte que si celui-ci devenait roi, elle serait reine d’Irak. Cependant sa mégalomanie se heurta à la résistance farouche du Baath et Washington abandonna le projet.
Ce n’est pas tout. Ses biographies officielles omettent de rapporter que le grand « démocrate » Lakhdar Brahimi fut un des 10 membre du Haut Conseil de Sécurité qui perpétra à Alger le coup d’État de 1992, annulant les élections législatives, contraignant le président Bendjedid à la démission et installant les généraux janviéristes au pouvoir [11].
Il s’en suivit une guerre civile —modèle que Washington souhaite appliquer aujourd’hui à la Syrie— où les deux camps à la fois furent manipulés par les États-Unis. Durant cette période, le leader des islamistes, Abbassi Madani (aujourd’hui réfugié au Qatar) prit comme conseiller politique le pseudo-laïque Burhan Ghalioun (futur président du Conseil national syrien).
La faction islamiste armée GSPC (renommé en 2007 Al-Qaida au Maghreb islamique) s’entraîna au maniement des armes avec le Groupe islamique combattant en Libye (renommé dès 1997 Al-Qaeda en Libye) ; la plupart des combattants des deux groupes sont aujourd’hui incorporés dans l’Armée « syrienne » libre.
C’est dans ce contexte que le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a inspecté les bases arrières françaises installées dans les États frontaliers de la Syrie. De passage en Jordanie, il a déclaré : « Je suis conscient de la force de ce que je suis en train de dire : M. Bachar Al-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre » [12]. Sans avoir à pointer le pouce vers le sol, Fabius Imperator est donc passé du « Bachar doit partir ! » au « Bachar doit mourir ! ».
Les Occidentaux ont un message pour Moscou et Pékin. Ils ne céderont pas. Ils iront jusqu’au bout par n’importe quels moyens.
(2] « Syrian rebels acquire surface-to-air missiles : report », par Mark Hosenball et Tabassum Zakaria, Reuters, 31 juillet 2012.
[3] « L’option diplomatique est morte », entretien de Bruno Fanucchi avec Richard Labévière, Le Parisien, 6 août 2012.
[4] « Formation accélérée d’insurgés syriens », par Claude Angeli, Le Canard enchaîné, 8 août 2012.
[5] “Syria rebels aided by UK intelligence”, par David Leppard et John Follain, The Sunday Times (UK), 19 août 2012.
[6] « Deutsches Spionageschiff kreuzt vor Syrien », par Martin S. Lambeck et Kayhan Özgenc, Bild am Sonntag.
[7] « Press conference by Joint Special Envoy for Syria », par Kofi Annan, Kofi Annan Foundation, 2 août 2012.
[8] « Le secrétaire général nomme M. Lakhdar Brahimi, de l’Algérie, comme représentant spécial conjoint pour la Syrie », Nations Unies SG/SM/14471, 17 août 2012
[9] « Rapport du Groupe d’étude sur les opérations de paix de l’Organisation des Nations Unies », Nations Unies A/55/305, ou S/2000/809.
[10] « Déclaration commune sur la collaboration des Secrétariats des Nations Unies et de l’OTAN », Réseau Voltaire, 23 septembre 2008. « Moscou regrette de voir l’ONU et l’OTAN signer un accord sans consulter la Russie », RIA-Novosti, 9 octobre 2008.
[11] Islam and democracy : the failure of dialogue in Algeria par Frédéric Volpi, Pluto Press, 2003 (p. 55 et suivantes).