Vers un supermarché de bébés ?
Berk ! Quelle horreur !
Par un collectif de 12 hauts fonctionnaires et universitaires chrétiens, qui ne peuvent tous signer de leur nom du fait de leurs obligations de réserve
En 1926, le dramaturge russe Tretiakov écrivait Je veux un enfant. Selon des méthodes scientifiques, une jeune agronome choisissait un géniteur et confiait ensuite le nouveau-né à la collectivité. La pièce fut censurée par le pouvoir soviétique. Elle posait déjà un regard critique sur ce qui se rejoue avec la nouvelle loi de bioéthique. Nous nous serions dispensés de prendre la plume si ces sujets essentiels avaient été traités avec sagesse. Cela n’a pas été le cas et le silence n’est donc plus de mise.
Jusqu’à maintenant, la France a cherché à construire un édifice juridique de la bioéthique qui permette de faire échapper ce domaine à l’emprise du marché et à questionner les avancées de la science. Or, désormais, science et marché donnent le rythme et l’éthique n’est admise que pour valider cette course. Ainsi, les étapes préalables à la rédaction du projet de loi n’ont pas permis un débat approfondi.
Les états généraux de la bioéthique, organisés par le CCNE pour recueillir les avis des citoyens, se sont soldés par un jeu de faux-semblants. Comme le disait le professeur Sicard en septembre 2018 à l’Assemblée nationale : « La politisation de l’éthique est une évolution que je constate depuis le président Hollande. Le CCNE est sommé d’apporter une réponse avant la loi, mais il est de ce fait paralysé, car il voudra faire plaisir au politique. » Dès juin 2018, le président du CCNE a pris ses distances avec les participants au débat, qualifiés de « militants ». Leur opinion, qui refusait les principales mesures proposées, a été récusée. L’avis 129 du CCNE, adopté en septembre 2018, est d’ailleurs écrit comme s’il ne tenait pas compte de ces états généraux.
Le Conseil d’État a rendu une étude en juin 2018. Comme c’est l’usage, il ne s’est pas agi de discuter au fond des idées du gouvernement mais d’en éclairer les implications juridiques. En revanche, l’avis public de la Cour de cassation, gardienne du code civil, n’a pas été sollicité alors que l’on se targuait d’une large consultation.
L’Assemblée nationale a créé en juin 2018 une mission d’information. Son rapport est une version améliorée du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Le rapporteur, M. Jean-Louis Touraine, ne déguise d’ailleurs pas ses intentions. Tout y passe : remise en cause de la filiation, tri des embryons (projet parental, projet de recherche ou destruction), élimination des embryons potentiellement porteurs de maladie qu’il ne faut bien sûr pas appeler eugénisme, faveur donnée à une procréation dissociée de la sexualité.
Le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale ne constitue pas une base sérieuse pour construire un projet de loi qui touche aux structures de notre société. Toutes les idées qui ne plaisaient pas au rapporteur ont été récusées, ignorées ou instruites à charge de sorte qu’il eût été préférable d’écrire le document préalablement aux auditions. Résultat : 350 pages aux conclusions attendues dès les premières lignes sans une once de doute ou d’humilité, qui sont pourtant au fondement de toute démarche bioéthique.
Nous nous trompions en pensant que l’adage « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » avait été inscrit dans les mémoires de tous les lycéens. Nous étions naïfs en pensant que quelque leçon avait été tirée des errements scientistes et technicistes du XXe siècle, eugénisme nazi ou lyssenkisme soviétique. Nous qui avions la certitude qu’en ces temps de plaidoyer pour l’écologie apparaîtrait le contresens de vouloir trafiquer l’homme sans prudence, nous en sommes pour nos frais.
Les formes du débat ne sont pas respectées. Les quelques députés de la majorité qui ont émis des réserves ont été sommés de se taire. Le président de la République avait évoqué l’idée d’un consensus large comme un préalable à cette loi. Rien ne permet de dire qu’il est atteint. Ces jours-ci, nous ne sommes pas non plus rassurés par la disproportion remarquée entre le nombre de personnes favorables au projet de loi et personnes défavorables auditionnées par la commission spéciale de l’Assemblée nationale. Aucune audition puis aucun amendement n’ont fait dévier le gouvernement. Où est la discussion ?
Nous ne voulons pas pour nos enfants de la France de M. Jean-Louis Touraine, une France individualiste où le plus faible n’a pas sa place, une France où l’argent et le marché pénètrent la sphère de l’intime et où l’homme devient objet de commerce. N’ajoutons pas une fracture de plus à notre « archipel français » où la cohésion se brise à force de vouloir dissoudre les liens qui unissent les personnes, y compris une base anthropologique qui leur soit commune.
Dans ces conditions, où aucun débat réel n’a été possible, un gouvernement responsable devrait retirer le projet de loi de bioéthique