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Mer et Marine

Le président de la Région des Pays de la Loire s’apprête à écrire à Emmanuel Macron pour lui demander de rouvrir le dossier de la vente du chantier STX France de Saint-Nazaire. Bruno Retailleau estime en effet que l’accord conclu en avril entre l’ancien gouvernement et Fincantieri n’offre pas, sur le long terme, les garanties nécessaires à la préservation de cet outil industriel, présenté comme stratégique pour la France, ni des emplois qui en dépendent. Il souhaite qu’à minima la participation italienne dans le chantier descende sous la barre de 50% et, si Fincantieri s’y oppose, que l’Etat préempte les parts de STX et les répartisse entre d’autres acteurs.

MER ET MARINE : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire au président de la République ?

BRUNO RETAILLEAU : Emmanuel Macron connait très bien le dossier, qu’il a eu à traiter quand il était ministre de l’Economie. A l’époque, nous avions échangé à plusieurs reprises sur le sujet et cela de manière constructive. Aujourd’hui, il est de ma responsabilité de mettre en garde le président de la République car, même si localement peu de gens peuvent s’exprimer publiquement, je constate une montée très nette des craintes et de la méfiance quant à la perspective d’une reprise du chantier par Fincantieri. Le terrain est en train de bouger et les signaux négatifs s’accumulent. L’un des derniers en date est l’avis négatif rendu le 18 mai par le Comité d’entreprise de STX France sur le projet de reprise, ce qui n’est pas anodin. Je lance donc une fusée de détresse car la solution issue de l’accord conclu le mois dernier entre Fincantieri et l’ancien gouvernement n’est pas bonne.

Vous êtes notamment opposé à ce que la majorité du capital soit détenue par les Italiens…

Depuis le début, j’affirme qu’il n’est pas souhaitable que Fincantieri dispose de la majorité dans les chantiers. Dès que j’avais appris, au lendemain de Noël, que le projet de reprise porté par Damen et des armateurs tombait à l’eau, j’avais d’ailleurs insisté auprès de Christophe Sirugue, alors secrétaire d’Etat à l’Industrie, pour faire en sorte que Fincantieri, si cette solution devait voir le jour, ne dispose pas de la majorité. On pouvait penser que les choses iraient dans ce sens jusqu’à ce que nous découvrions la répartition du capital prévue par l’accord conclu entre l’ancien gouvernement et Fincantieri.

Selon cet accord, signé le 12 avril, Fincantieri a accepté de ne prendre que 48% des chantiers, mais il y aurait aussi dans le capital une fondation italienne, la Fondazione CR, qui possèderait 6% des parts et pourrait au bout de 8 ans les céder à Fincantieri. Il ne s’agit là que d’un simple artifice ?

Cette fondation n’est qu’un faux-nez, c’est évident, et nous avons donc dans le scénario actuel une majorité italienne. Or, je n’ai personnellement aucune certitude quant aux garanties négociées entre l’Etat et Fincantieri, ainsi que sur leur efficacité réelle dans le temps. Je ne suis donc pas prêt à laisser partir le chantier sous un autre pavillon au travers d’une solution qui pour l’instant pose de graves questions. Je suis en effet président d’un territoire où Saint-Nazaire a un rôle extrêmement important sur le plan économique. C’est un fleuron mondial, c’est 7000 emplois avec la sous-traitance, c’est notre patrimoine et notre avenir.

Quels dangers voyez-vous dans une prise de contrôle italienne ?

L’Italie est un pays ami de la France et Fincantieri est un groupe industriel important et reconnu, c’est indéniable. Mais c’est aussi un concurrent direct et, derrière, nous avons l’Etat italien, qui est l’actionnaire majoritaire de Fincantieri. C’est à mon avis là que réside l’un des principaux dangers. En effet, quand demain, car la navale est une activité cyclique, le marché se retournera, que se passera-t-il ? C’est simple, l’Etat italien demandera à son opérateur industriel de charger en priorité ses chantiers nationaux, Saint-Nazaire passera après. Et soyons honnêtes, nous ferions la même chose dans ce cas de figure si les rôles étaient inversés.

Vous craignez donc des transferts de charge si l'activité vient à baisser chez Fincantieri, qui dispose de huit chantiers en Italie et d'autres sites en Roumanie et en Norvège…

Tout à fait et je constate d’ailleurs que si Saint-Nazaire a du travail assuré jusqu’en 2026, le carnet de commandes de Fincantieri est bien moindre au-delà de 2020. On peut donc craindre un transfert d’une partie de la charge de Saint-Nazaire vers d’autres sites, et je rappelle que les engagements de Fincantieri en matière d’emploi ne couvrent qu’une période de 5 ans.

On sait les armateurs, même s’ils ne se sont pas encore officiellement exprimés, également très inquiets d’une prise de contrôle de Saint-Nazaire par Fincantieri. Ils ont même été jusqu’à proposer une solution de reprise alternative. Qu’en pensez-vous ?

Ce sont les armateurs qui font le carnet de commandes et il est évident qu’il faut tenir compte de leur avis. D’ailleurs, on peut facilement imaginer que s’ils voient se constituer en Europe un duopole entre d’un côté Meyer Wert et de l’autre Fincantieri, cela les incitera probablement à vouloir faire marcher la concurrence asiatique, ce qui serait une très mauvaise chose. Sans parler du fait que l’alliance entre Fincantieri et les chantiers chinois CSSC amorce cette concurrence et nous inquiète aussi.

Faut-il renégocier l’accord avec les Italiens ou, carrément, que l’Etat use de son droit de préemption sur les parts de STX ?

Nous avons deux solutions possibles. La première, la plus radicale, est de faire jouer dans les 60 jours le droit de préemption que l’Etat a sur les parts de STX. Entre l’Etat et DCNS, nous avons déjà une bonne partie du capital et pour le reste, il s’agit de trouver 50 millions. On ne va pas me dire que nous ne sommes pas capables, en France, de trouver en 15 jours des investisseurs pour un montant aussi faible ! Surtout que nous avons déjà des acteurs qui sont prêts à investir. Il y a les armateurs, mais aussi des industriels régionaux et, comme je l’avais déjà dit, la Région des Pays de la Loire est également prête si besoin à rejoindre le tour de table. Nous pourrions aussi en profiter pour ouvrir le capital aux salariés.

Si l’Etat ne veut pas s’engager sur cette voie, il restera à minima la solution consistant à sortir la fondation italienne, quitte à dire à Fincantieri que c’est à prendre ou à laisser. Cela permettrait au moins de faire passer l’actionnariat italien sous la barre des 50%.

Les Italiens ont beaucoup joué dans ce dossier sur une dimension, celle de la construction européenne, et l’opportunité disent-ils de consolider l’industrie navale face à la concurrence asiatique. Certains redoutent aussi que remettre en cause l’accord conclu en avril puisse provoquer une crise diplomatique avec l’Italie. Qu’en pensez-vous ?

L’argument de la construction européenne a été logiquement avancé mais l’objectif de Fincantieri est avant tout, il ne faut pas se leurrer, d’absorber un concurrent. Quant à une éventuelle crise diplomatique, je n’y crois pas. Chaque pays a le devoir de défendre son industrie et ses intérêts stratégiques, c'est normal et Saint-Nazaire fait partie des intérêts stratégiques de la France. Ce chantier est en effet primordial pour toute la filière navale française, civile comme militaire, et c’est d’autant plus vrai avec les perspectives qu’offre le développement de nouvelles activités en mer.

Vous appelez donc le président de la République à remettre le dossier à plat ?

Oui car la solution telle que négociée par l’ancien gouvernement présente des risques clairs en termes de souveraineté et pour l’emploi. Il faut impérativement rouvrir ce dossier et trouver la bonne solution, qui permettra de garantir la pérennité de Saint-Nazaire.

Je suis persuadé, et je ne suis pas le seul, que nous allons en l’état actuel des choses droit sur un problème. Soit on le règle maintenant, soit nous aurons à le gérer, et sans doute pas dans des conditions aussi favorables, dans 5 ou 10 ans.

Interview réalisée par Vincent Groizeleau © Mer et Marine, mai 2017 

 

Tag(s) : #Economie
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