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chez Orange, 95/% des interventions sur le réseau sont sous-traitées. Patrick Allard/RE

chez Orange, 95/% des interventions sur le réseau sont sous-traitées. Patrick Allard/RE

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La marche forcée vers la privatisation des services publics depuis bientôt trente ans a signé la fin des investissements, la hausse des prix, la dégradation des prestations. Les effectifs ont drastiquement baissé et les conditions de travail se sont détériorées… Décryptage.

«Je dis aux syndicats : n’ayez pas de craintes illégitimes, la SNCF restera publique, ce sera dans la loi et les cheminots resteront cheminots », a encore une fois promis Emmanuel Macron lors de son passage au JT de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut, sur TF1. Sauf que les syndicats n’ont pas la mémoire courte. Ils se souviennent de Paul Quilès, qui disait à propos de France Télécom en 1990 : « Le service public est notre bien commun, tout idée de privatisation est totalement étrangère à ma démarche et celle du premier ministre. » Et de Nicolas Sarkozy, promettant en 2004 qu’« EDF-GDF ne sera pas privatisé ». Ou encore de Christine Lagarde, qui jurait en juillet 2008 que « La Poste restera, et ce n’est pas négociable, une entreprise publique ». Chaque fois, le schéma est le même. Ouverture du secteur à la concurrence, ouverture du capital du service public, transformé en société anonyme, et désengagement progressif de l’État jusqu’à la privatisation complète.

1 Des prix en hausse et un service rendu en baisse

« Depuis 2004 et l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence, et le passage de GRDF en société anonyme, le prix du gaz a augmenté de 70 % pour tous les Français et de 30 % pour l’électricité. Résultat, aujourd’hui, 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique », assure Cédric Liechti, secrétaire général de la CGT énergie à Paris. De quoi mettre du plomb dans l’aile à l’argument premier avancé par le gouvernement selon lequel l’ouverture à la concurrence permettrait de faire baisser les prix. « Sur les 25 dernières années, la part de la facture des télécoms dans le budget des ménages est passée de 3 % à 6 % », confirme Thierry Franchi, délégué syndical central (DSC) adjoint CGT chez Orange. Autre exemple, si les autoroutes n’ont jamais été des infrastructures publiques à 100 %, mais des sociétés d’économie mixte, la privatisation totale des concessions en 2006 a entraîné une hausse des tarifs de plus de 20 % en douze ans. Vinci et Eiffage se sont partagé le gros du gâteau.

La privatisation fait en outre peser de nouveaux coûts sur les usagers. « Grâce à la charte de garantie de remise en service de l’énergie, lorsque quelqu’un n’avait pas d’électricité, soit parce qu’il déménageait ou qu’il y avait un problème sur le réseau, l’énergie devait lui être rétablie dans les quatre heures, gratuitement, explique Cédric Liechti. Aujourd’hui, c’est une option payante et, depuis 2004, les durées de coupure ont au minimum doublé. » Ces changements profonds touchent désormais aussi les facteurs : « Quand vous leur demandez de s’arrêter sur leur tournée pour discuter quelques minutes avec une personne âgée moyennant une contrepartie financière, le métier perd tout son sens », déplore Christian Mathorel, secrétaire général de la CGT postes et télécommunications. Une allusion au dispositif « Veiller sur mes parents » mis en place par La Poste : une visite par semaine du facteur coûte 39,90 euros par mois.

Les pratiques commerciales ont été bousculées. Engie, par exemple, est en contrat avec Darty, l’enseigne d’électroménager proposant des prestations de l’énergéticien – d’autant que toutes les anciennes boutiques EDF-GDF auront fermé fin 2019. « On reçoit des appels dénonçant des situations ubuesques, dans lesquelles des personnes âgées achètent des multiprises chez Darty et se retrouvent avec un contrat gaz, alors qu’elles n’ont pas de gaz chez elles ! s’insurge Cédric Liechti. Plus de 50 % des plaintes au médiateur de l’énergie au niveau national relèvent de la vente forcée, c’est digne d’un service public, ça ? »

2 Moins d’emplois et un travail dégradé

« Pour faire partir les gens, la direction de France Télécom utilisait le même graphique que les médecins qui traitent des patients incurables, celui où la phase de désespoir précède l’acceptation de son sort, se souvient Thierry Franchi. C’était terrible, on faisait des minutes de silence à chaque comité d’entreprise pour les collègues suicidés. » Si, depuis 1990, les gouvernements successifs ont promis que l’ouverture à la concurrence allait favoriser l’emploi, c’est tout l’inverse qui s’est produit. « La direction disait aux managers : il faut que tu fasses partir ton équipe, mais on te prévient, tu es aussi sur la liste ! » raconte le DSC adjoint CGT d’Orange. En quinze ans, l’entreprise a perdu plus de 84 000 fonctionnaires, beaucoup sont partis car ils ne se reconnaissaient plus dans le service public qu’ils avaient connu. Le secteur a détruit plus de 70 000 emplois. La Poste aussi fait la chasse aux moindres coûts. Le deuxième employeur public de France (224 000 salariés) a supprimé en dix ans 100 000 postes, selon les syndicats. « Son objectif n’est plus de servir la population, mais de servir au maximum ses profits en réduisant les coûts », dénonce Nicolas Galépides, secrétaire général de SUD PTT. Du côté des salariés des autoroutes, les conditions de travail et les emplois ont aussi largement trinqué. « On a perdu 2 000 emplois depuis la privatisation », estime Patrick Gadbin, délégué syndical CGT chez Autoroutes du Sud de la France (ASF), filiale de Vinci. « Et ce n’est pas uniquement dû à l’automatisation des péages, mais aussi au développement de la mutualisation et de la polyvalence, ce qui a un impact négatif sur nos conditions de travail », précise-t-il.

Le changement de statut des entreprises crée en outre un véritable dumping social en leur sein, où plusieurs conventions collectives cohabitent. Chez Orange, il n’y aura plus de fonctionnaires en 2025. Il n’y a plus que 10 % de statutaires chez Engie. La grande tendance est de recruter à travers des filiales, pour ne pas se voir soumis aux conventions collectives de branche jugées encore trop favorables aux employés…

Avec la fermeture des lieux d’accueil physiques, les centres d’appels et plateformes téléphoniques prennent une place prépondérante. Chez Engie, 95 % de ses plateformes sont sous-traitées, pour la majorité au Maroc et à Madagascar, et plus récemment au Sénégal et en Côte d’Ivoire. « On se retrouve avec des gens exploités dans des pays à bas coût qui vont gérer des factures d’abonnés en France. On est au bout de ce système », déplore Cédric Liechti.

3 Baisse de la Qualité des réseaux et de la sécurité

La réduction des effectifs liée à la privatisation a d’énormes conséquences sur la qualité des réseaux. « Avant 2000, les plans d’alerte en cas de gros incident de gaz comme des coupures du réseau, cela n’existait pas, à part ceux que l’on déclenchait en exercices de simulation. Aujourd’hui, à Paris, on en a trois ou quatre par an. Le réseau est pourri à cause du sous-investissement », explique Cédric Liechti. Les fuites de gaz sont désormais assignées en trois catégories, selon leur urgence présumée… 30 000 kilomètres de conduites de gaz en fonte grise datant des années 1950 devaient être remplacés dans les dix ans, s’étaient engagés les dirigeants du service public dans les années 1990. Sauf que la privatisation est passée par là entre-temps. Depuis, il y a eu plus de vingt morts. « Ils savaient que c’était dangereux, mais une grosse partie de l’argent est allée à l’actionnariat et pas à la rénovation du réseau », poursuit le syndicaliste gazier.

Après une tempête, tous les énergéticiens du territoire français sont mobilisés. « Demain, avec l’ouverture à la concurrence, si c’est Bouygues Énergie qui gère le réseau sur la zone sinistrée, pourquoi les salariés de Total Énergie iraient aider leurs concurrents ? C’est aussi ce qui attend la SNCF », prévient Cédric Liechti. « Pour rétablir le téléphone dans les zones rurales ou périurbaines après un orage, il faut attendre quinze jours et payer, confirme le DSC CGT d’Orange. On est tellement en sous-effectifs sur le réseau que ce qui était un plan d’urgence il y a vingt ans est désormais la norme. »

La sécurité des travailleurs pose aussi question. Les accidents graves se multiplient sur les réseaux d’électricité et de gaz. « Des techniciens disent qu’ils craignent d’aller travailler pour leur sécurité », assure Cédric Liechti. Et si les chiffres des blessés du travail ont diminué chez Orange, c’est que 95 % des interventions sur le réseau sont sous-traitées.

4La financiarisation contre l’investissement

« Cette année, Enedis a remonté 659 millions d’euros à EDF, c’est 83 % de son résultat net qui part en dividendes pour les actionnaires de la maison mère », explique le secrétaire général de la CGT énergie de Paris. Pour maintenir son taux de marge supérieur à 14 %, la filiale emprunte à EDF, avec des taux d’intérêt. « C’est absurde, on crée de la dette, et après la maison mère explique : vous êtes trop endettés, on fait un plan social », déplore Cédric Liechti, alors que plus de 2 000 nouveaux emplois sont sur la sellette. GRDF a de son côté rapporté 550 millions d’euros à Engie. En près de quinze ans, l’ancien service public de l’énergie a reversé 60 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires. Des milliards qui ne sont pas allés dans le renouvellement du réseau, ni dans la recherche sur les énergies alternatives et renouvelables.

La même logique financière prévaut chez Orange. « Résultat, on prend un retard phénoménal sur l’installation de la fibre optique, le plan très haut débit est repoussé d’année en année », explique Thierry Franchi. Ce technicien a été embauché chez France Télécom à la fin des années 1970, lorsqu’un investissement massif a été consenti pour raccorder tout le territoire, sans exception, au réseau cuivre. Ce qui n’est plus possible avec la privatisation. « On est à la remorque dans le domaine de la recherche, aussi. On avait inventé la fibre optique, la commutation asynchrone, la tablette tactile… Aujourd’hui, plus rien, déplore-t-il. Avec Alcatel et Sagem, le service public entretenait un tissu industriel florissant, qui s’est effondré. J’ai peur qu’il n’arrive la même chose à Alstom sans le soutien d’un acteur public comme la SNCF », conclut le DSC CGT d’Orange.

Tag(s) : #Economie, #Services publics
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