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« Nous étions des mains invisibles »
Ballast
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Collectif de création politique . « Tenir tête, fédérer, amorcer »

 

Témoignage inédit pour le site de Ballast

Nous l’avions rencontrée une première fois au mois de mars 2018, lors d’une manifestation en soutien aux cheminots, aux côtés des employé.e.s d’une entreprise de nettoyage — H. Reiner Onet — en charge des gares d’Île-de-France« Nous sommes aussi là pour défendre nos droits : depuis la fin de la grève, Onet n’a pas respecté le protocole », nous avait dit une de ses collègues.

Fernande Bagou, la cinquantaine, a justement été l’une des porte-paroles de cette grève menée tambour battant, fin 2017, durant 45 jours : le nouvel employeur entendait déplacer les salarié.e.s d’un chantier à l’autre selon son bon vouloir  une « clause de mobilité » refusée par l’ensemble du personnel.

Cette grève, appelant en outre au maintien de tous les postes et à l’égalisation des paniers repas, était une première pour la plupart. D’une voix calme, l’agente de nettoyage revient sur son expérience de travail au quotidien et cette bataille remportée : « L’employeur doit savoir que les salariés ne sont pas des robots, pas des esclaves. » Et met en garde la direction, si celle-ci en venait à fouler aux pieds ses engagements.

 

Je suis née à Abidjan, j’y ai grandi ; l’aventure a fait que je suis venue ici, en France. Mon mari et moi sommes partis de la Côte d’Ivoire à cause de la guerre : il n’y avait plus de travail. Il est arrivé avant moi, puis m’a fait venir 18 mois plus tard, en 2002. On a eu notre dernière fille ici, il y a 15 ans. Je suis mère de six enfants et quatre fois grand-mère. Nous habitons à présent à L’Haÿ-les-Roses. Il fallait que nous travaillions pour aider nos enfants restés en Afrique. Comme de nombreux immigrés, nous avons été hébergés à notre arrivée par une amie que je connaissais. Il me fallait du travail, alors un ami du quartier avec lequel j’avais sympathisé m’a emmenée sur le chantier de nettoyage où il travaillait. Il devait rentrer en Côte d’Ivoire et m’avait demandé de le remplacer. J’y ai travaillé un an, jusqu’à ce qu’il reprenne sa place. Mon ancien employeur m’a embauchée pour deux mois. J’ai travaillé avec La Brenne et la SMP [entreprises de nettoyage et de propreté, ndlr] .

 

Au début, à cause de ma timidité, je ne me faisais pas voir dans l’entreprise. Pourtant, j’ai été élue déléguée du personnel puis déléguée syndicale. Être l’intermédiaire entre l’entreprise et les salariés, pour arranger ce qui ne va pas : j’ai toujours occupé ces postes dans l’entreprise, depuis la SMP. Chez nous, les entreprises changent souvent. La première boîte a duré dix ans, la deuxième cinq ans ; Onet est arrivé en novembre 2017. Les salariés étant les mêmes, je suis restée déléguée. On aurait pu partir avec l’ancienne entreprise mais on préférait rester sur place, connaissant les chantiers. C’était compliqué car, voyez-vous, quand vous êtes timide, il n’est pas simple de parler devant vos collègues. Mais on m’avait demandé d’assumer cette tâche, alors il fallait que j’y arrive. J’avais une équipe géniale au sein de mon chantier, qui m’épaulait ; ils m’ont conseillée, m’ont donné des idées. Il y avait ce délégué au temps de La Brenne avec qui j’avais travaillé ; il est parti avec l’ancienne boîte mais nous sommes restés en contact : on se téléphonait, parfois on se voyait, je l’appelais quand j’avais des questionnements… C’était un militant et il était à la CFDT. C’est ainsi que je suis rentrée à la CFDT.

Je travaille à L’Isle-Adam. J’ai trois gares à gérer. En semaine, je me lève à 4 heures du matin pour être sur mon lieu de travail à 7. Je m’apprête pour prendre mon bus à 5 heures 30, récupérer mon train à la station Arcueil - Cachan en direction de la gare du Nord, et de là j’en prends un autre pour L’Isle-Adam. Une fois sur mon lieu de travail, je me change, je récupère mon matériel et je commence par les quais. Mon travail, c’est de nettoyer les gares à l’extérieur comme à l’intérieur. Parfois, dans certaines gares, on préfère que tu commences par l’intérieur, parfois c’est l’inverse.

 

Moi, je nettoie d’abord l’extérieur pour les usagers : il faut que ce soit propre afin que ceux qui voyagent soient à l’aise. Je nettoie les poubelles, les bouts de papier, les canettes, les alarmes. À l’intérieur, c’est la saleté et la poussière à enlever. Ensuite je prends un train pour me rendre dans une autre gare. Sur une gare, le temps de travail est varié, ça dépend de son état ; ça peut prendre une heure, parfois deux. Je suis seule pour faire ce travail. On balaie, on récupère les poubelles qui sont lourdes, sans chariot — c’est à nous de les porter. On répète beaucoup les mêmes gestes.

 

La marche fragilise les chevilles et les genoux, les poignets aussi sont touchés. Avec ce travail, on a du mal à marcher normalement car on a mal partout. C’est difficile pour les agents de nettoyage : on doit monter, descendre des escaliers et rester debout toute la journée.

Par Maya Mihindou

J’ai au total sept heures de travail par jour payées par la société. C’est à moi d’organiser mon temps sur les trois gares. Le trajet ne compte pas — s’il comptait, je dépasserais les sept heures. Est-ce que je mange ? Le matin, personnellement, je ne peux pas prendre de petit-déjeuner. Je prends juste un café, parfois dans mon train. Je n’ai pas le temps de manger dans ma journée. Sur ma ligne, il arrive souvent que les trains soient supprimés, ce qui me met en retard et peut faire perdre près de 30 minutes, à attendre dans la gare… Mes journées peuvent ainsi commencer à 7 heures et se terminer vers 16 ou 17 heures. Quand je rentre chez moi, je me débarbouille, je mange, j’ai mon ménage à faire. Je suis maman, je dois prendre soin de mon mari et de ma fille. Je ne dors pas beaucoup. Il arrive que je me couche, quand je suis très fatiguée, à 21 heures. Mais c’est plutôt minuit ou 1 heure du matin. Cela fait des nuits de 4 heures. Tous les jours, du lundi au vendredi.

 

 

Témoignage inédit pour le site de Ballast

 

 

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Tag(s) : #Capitalisme, #Lutte de Classe
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