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Il suffira d’un gilet jaune, Aurélien Blondeau & Valerio Maggi, 2019

 

 

 
et consumimur igni

C’est un film militant qui, à travers les Gilets jaunes va tacher de faire émerger une parole populaire. Aurélien Blondeau a déjà réalisé un certain nombre de films sur le sujet de l’émergence d’une parole non conventionnelle. Ce film tourne un peu de partout en France. Il est donc le deuxième film après celui de Gilles Perret et François Ruffin, J’veux du soleil. 

Ce film tourne dans les réseaux militants, ce qui veux dire qu’il est d’abord vu et approuvé par des convaincus qui soutiennent les Gilets jaunes. Il aurait évidemment plus d’efficacité si on le passait par exemple à une heure de grande écoute sur une chaîne de télévision comme TF1 par exemple.

Cependant, le fait que ce genre de film existe est aussi un acte de solidarité entre les Gilets jaunes qui se sentiront aussi un peu moins seuls. 

 

Il suffira d’un gilet jaune, Aurélien Blondeau & Valerio Maggi, 2019 

Face à la répression policière  

Ce film se veut un document brut sur le mouvement des Gilets jaunes. Il va principalement s’attarder sur trois aspects, qui sont les Gilets jaunes ? Pourquoi une telle répression ? Et comment continuer la mobilisation ? Le film présente aussi l’intérêt d’avoir été tourné en Bretagne, et particulièrement à Saint-Nazaire qui a comme on sait une longue expérience des luttes sociales longues et dures[1]. Celui de Perret et Ruffin était plus une traversée dans la France du Nord vers le Sud, alors qu’ici c’est plus localisé. 

Il suffira d’un gilet jaune, Aurélien Blondeau & Valerio Maggi, 2019 

Au rond-point de Méan à Saint-Nazaire  

Il y a donc d’abord des portraits de Gilets jaunes qui ne sont pas des militants de partis ou de groupuscules. Et c’est sans doute pour cela qu’ils sont là : c’est en effet parce que les partis de gauche et les syndicats se sont avérés nuls en ce qui concerne les luttes sociales que les Gilets jaunes ont émergés. Ce qui fait leur force est qu’ils n’ont de compte à rendre à personne, à aucune bureaucratie, à aucune doctrine. On les verra donc faire des cabanes, occuper des ronds-points, célébrer la solidarité et l’amitié. Les raisons de leur colère sont assez claires, mais le film ne s’y attarde pas, en tous les cas moins que celui de Perret et Ruffin. Ils défilent, libèrent des péages, occupent des ronds-points et ainsi modifient le sens de l’espace social.

C’est d’ailleurs cela qui est surprenant dans ce mouvement : les syndicats ne luttant plus, les luttes sociales du fait du durcissement des lois ne peuvent avoir lieu qu’en dehors des entreprises. C’est comme si on avait foutu les salariés à la porte de leurs entreprises pour renforcer le pouvoir patronal. Il vient naturellement que la contestation s’emploie là où elle est visible.

On peut noter que depuis le début de l’année Macron et sa bande ont justement réduit la liberté de manifester dans les rues et les centres-villes de façon à marginaliser le mouvement. 

Il suffira d’un gilet jaune, Aurélien Blondeau & Valerio Maggi, 2019 

Deuxième assemblée des assemblées à Saint Nazaire  

Le second aspect est donc la répression policière. Si de nombreux Gilets jaunes semblent surpris par son étendue, on comprend bien qu’ils se croyaient encore en démocratie. Le film ne masque pas les peurs que cela engendre. Mais il montre aussi que cela renforce leur moral de combattant, car si la répression est si dure, c’est bien que le pouvoir se sent menacé par l’irruption d’une forme de contestation qu’il ne peut pas contrôler.

Au passage on aurait pu se poser la question de savoir qu’est ce qui peut bien justifier que des policiers se comportassent comme des salopards, au motif qu’ils en auraient reçu l’ordre. Il y a une volonté d’écrasement de la rébellion qui est évidente. Il y a un vrai moment d’émotion quand on voit la belle-mère d’Adrien devant le palais de justice de Saint-Nazaire dénoncer le fait que la police lui a tiré une balle de LBD dans la tête, délibérément. Elle va justifier par là la nécessité de continuer le combat.

On aurait pu peut-être s’étendre sur les relations entre la police, la presse et la justice comme les trois piliers qui défendent l’ordre macronien en usant et justifiant la violence d’Etat. La conséquence de tout cela c’est que de nombreux Gilets jaunes ont pris ensuite le parti des Blacks blocs, souhaitant même qu’ils interviennent plus souvent dans les manifestations. On se dit évidemment que rien ne pourra changer sans employer une méthode violente, donc une révolution. 

Il suffira d’un gilet jaune, Aurélien Blondeau & Valerio Maggi, 2019 

Les Gilets jaunes expliquent la nécessité de la violence  

Bien que le mot soit rarement prononcé, c’est pourtant bien de révolution qu’il s’agit. En réalité les Gilets jaunes le savent depuis le début. J’avais été surpris justement par cette référence régulière à la révolution de 1789 et à la prise de la Bastille, arguant du fait que celle-ci n’avait pas pu se faire sans un usage féroce de la violence.

Ce point est intéressant parce que, au fur et à mesure que les syndicats se sont vidés de leurs adhérents en devenant de plus en plus réformistes et accommodants avec le patronat, il est apparu que seule une révolution pourrait nous sortir de l’impasse. On pourrait sans doute faire remonter cette nécessité an France au moins à Mai 68. C’est de cela qu’il sera question dans les assemblées des assemblées. La seconde s’est tenue à Saint Nazaire en avril 2019.

La conscience des Gilets jaunes s’appuie maintenant sur l’idée que c’est le système dans son entier qui doit être changé. Cependant on assistera à des discussions sur comment continuer la lutte.

En regardant cette partie du film, c’est la plus longue je crois, je me suis dit deux choses : d’abord que les Gilets jaunes avaient réussi à se coordonner, ou du moins à rentrer en relation les uns avec les autres sur tout le territoire français et à organiser des rencontres.

Ensuite que la lutte ne peut se poursuivre qu’en mettant en avant des revendications assez simples, assez peu nombreuses et consensuelles. Le programme des Gilets jaunes doit reprendre les points du début : défense des services publics, défense du pouvoir d’achat en luttant contre la réforme des retraites et des allocations chômage, démission de Macron, imposer le RIC, abolition du CICE et rétablissement de l’ISF. 

Il suffira d’un gilet jaune, Aurélien Blondeau & Valerio Maggi, 2019 

Acte VI, le blocage de la rocade de Rennes  

Le film se veut un document brut, un témoignage, et il l’est. A ce titre il est excellent. Cependant dans la façon dont il est monté, on peut se poser des questions. En effet, on voit au début une explosion spontanée et joyeuse, puis au fil du temps, il semble que l’inquiétude domine.

Et enfin on s’interroge sur l’issue d’un tel mouvement. Cette issue on a du mal à la voir, et sans doute il vaut mieux s’abstenir de la rechercher. Plusieurs pistes ont été explorées : se présenter aux élections, mais on a vu que cela ne marchait pas parce que c’était en décalage par rapport à l’essence même du mouvement.

Ensuite créer un parti ou une structure organisationnelle pour chapeauter et coordonner l’ensemble. Mais cela nous semble maintenant appartenir à une forme ancienne de faire de la politique, cette forme où se sont fracassés la social-démocratie et les syndicats.

Personne ne semble avoir compris que si le mouvement des Gilets jaunes a duré aussi longtemps, c’est parce que justement il n’émanait d’aucun parti. Je l’ai dit plusieurs fois. Je ne suis pas inquiet sur l’avenir du mouvement social, à la fois parce que nous sentons bien que la colère est toujours là, et parce que nous savons que la situation va se durcir dans les semaines à venir, à la fois du fait des contre-réformes macroniennes, et de la dégradation programmée de la situation économique en général en Europe et à l’échelle planétaire.

 

Tag(s) : #Gilets jaunes
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