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Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a recours à de multiples agences de communication dans l’Hexagone. Et peut compter sur la bienveillance du Quai d’Orsay.

(Seconde partie de l’analyse précédemment publiée, cette fois concernant plus particulièrement la France)

Par Pierre Conesa,

ancien haut-fonctionnaire, auteur de Dr Saoud et Mr Djihad, La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016).

L’Arabie saoudite a singulièrement renforcé son lobbying à l’égard des pays occidentaux ces dernières années. Et le pays devrait utiliser la présidence du G20, qui se poursuivra jusqu’au sommet des dirigeants à Riyad les 21 et 22 novembre 2020, pour démultiplier les tentatives de séduction.

Dans ce cadre, l’Arabie saoudite déploie un réseau particulièrement actif en France. Aux yeux de Riyad, il s’agit d’un pays de second rang, surtout comparé aux enjeux économiques et militaires qui animent la relation avec les Etats-Unis. Pour autant, l’Hexagone attire toute l’attention du Prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS).

Notre pays est devenu le terrain de jeux concurrentiel, entre les influences opposées du Qatar (Frères Musulmans), des Emirats et de l’Arabie saoudite (salafisme). En avril 2019, Ali Bensaad dans un article, parle même de Françarabie comme il existe une Françafrique. Faut-il aller jusque-là ? Riyad n’ambitionne pas de convaincre l’opinion française et n’a pas besoin d’une communication massive. Ses cibles sont les sphères dirigeantes, les milieux patronaux et enfin les élites musulmanes.

Lobbying et autocensure

Il n’est pas évident de relever les points d’entrée de ce lobbying. Le parlementarisme français n’obligeant pas les lobbies à la transparence, certains liens contractuels peuvent être prouvés, mais d’autres sont plus informels. L’influence peut se traduire par de l’autocensure. D’autres liens relèvent davantage de logiques d’opportunités. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique ne semble pas connaître les lobbies étrangers puisque son répertoire ne mentionne aucune des sociétés de communication et d’influence qui sont mobilisées sur ce sujet.

Une façon de maintenir les liens et la bienveillance de la France consiste à faire miroiter, en permanence, à ses dirigeants la signature d’importants contrats. Les décideurs politiques en visite, repartent ainsi avec une lettre d’intention annonçant la promesse de nouveaux contrats : Manuel Valls, à l’époque Premier ministre, avait ainsi pu annoncer 10 milliards de dollars à venir. La France n’est pas le seul pays sujet à cette tactique : Donald Trump s’était vu promettre 110 milliards de dollars. Mais en réalité, aucun achat ferme n’a suivi depuis.

Les annonces d’ambitieux projets destinés à l’après-pétrole sont régulières mais rarement suivies de réalisations

Pour les hommes d’affaires, les annonces de projet pharaoniques, calment les critiques : Neom, ville futuriste voulue par MBS, concentré de nouvelles technologies, coûterait entre 200 et 500 milliards de dollars. Les annonces d’ambitieux projets destinés à l’après-pétrole sont, elles aussi, régulières mais rarement suivies de réalisations. Peu importe que chaque monarque annonce sa Tech City qui jamais ne voit le jour, toute annonce permet d’entretenir des relations bienveillantes jusqu’à la prochaine promesse.

Et si ces partenaires, surtout lorsqu’ils ne sont que mineurs, ne jouent pas le jeu, la menace monte. En août 2018 L’Arabie saoudite annonce ainsi qu’il va vendre tous ses actifs canadiens quel qu’en soit le coût, selon le Financial Times. La raison : Ottawa avait osé critiquer l’arrestation de militantes féministes. Riyad a alors expulsé l’ambassadeur canadien et transféré des milliers d’étudiants et de patients saoudiens vers d’autres pays. La solidarité occidentale n’a pas joué. La France, dans cette situation de partenaire secondaire, n’est jamais à l’abri d’un geste d’humeur de Riyad.

Une constellation d’agences de communication

Pour valoriser son image, comme dans le reste du monde, l’Arabie saoudite s’appuie sur des entreprises de communication de tout ordre. Publicis est un partenaire essentiel sur l’ensemble du spectre, surtout depuis le rachat de Qorvis en 2012, agence responsable de l’action au Parlement européen. Les largesses saoudiennes ont également bénéficié à son concurrent Havas (groupe Vivendi) ou encore à Steele & Holt, cofondée par Sylvain Fort, qui fût conseiller en communication d’Emmanuel Macron. Autant d’activités qui, là encore, ne sont pas mentionnées, au registre du lobbying mis en place en 2017 sous l’autorité de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

MSL Brussels, autre filiale de Publicis, détient un contrat qu’elle souhaite garder secret. Parmi les services : la gestion de sites web et des réseaux sociaux dans la capitale de l’UE, l’organisation de rencontres avec des parlementaires européens et autres décideurs bruxellois, l’écriture d’éléments de langage, ou le placement dans les médias d’articles dépeignant le régime sous un jour favorable. Dans un article adressé aux médias, Adel bin Ahmed Al-Jubeir, ancien ministre des affaires étrangères, tente de justifier l’exécution de 47 personnes au titre de la lutte contre le terrorisme. L’article est intitulé : « Les Saoudiens combattent le terrorisme, ne croyez pas autrement ! ».

Des conseillers de tous horizons

Parmi les autres sociétés de relations publiques françaises, MBS a aussi eu recours à Image 7, le groupe fondé par Anne Méaux, qui fût notamment conseillère de François Fillon dans sa course malheureuse à la présidentielle. Ce contrat semble toutefois s’être terminé au milieu de l’année 2018. Edile Consulting (ELN Group) créée par Souid Sihem, ancienne policière, conseillère au cabinet d’Arnaud Montebourg est aussi à la manœuvre. Sollicitée après les attentats du 13 novembre, elle publie à compte d’auteur, une apologie intitulée « L’Arabie Saoudite, ce pays méconnu » et fait la publicité du Forum pour le dialogue des civilisations (KAICIID) créé par Riyad. Elle semble, elle aussi, avoir renoncé à ce contrat.

On compte parmi les influenceurs François-Aïssa Touazi. Ancien conseiller au cabinet de Philippe Douste-Blazy lorsqu’il était Ministre des Affaires Etrangères de 2005 à 2007, il a fondé CAP MENA, un think tank spécialisé sur les questions économiques et financières du monde arabe, et édité un livre confidentiel, « Le ciel est leur limite ». Il a organisé en mai 2018 un voyage, tous frais payés, de parlementaires, d’élus locaux, de journalistes, d’experts et d’anciens diplomates, mais sans rencontre avec des officiels de haut niveau. Responsable pour le Moyen-Orient du fonds de capital investissement, Ardian, l’un des plus importants de France, il vient d’être décoré de la Légion d’Honneur pour ses services rendus à la coopération entre les deux pays.

De Jacques Attali à Alexandre Adler

Car au-delà de cette multitude d’agences, l’Arabie saoudite prend soin de s’attacher les services de quelques personnalités françaises. Nicolas Sarkozy, a ainsi tenu à marquer de sa présence le Business forum de Riyad, malgré l’affaire Khashoggi. Comble d’ironie, ce forum de rencontre baptisé le Davos du désert, est supervisé par Richard Attias, ancien pilier de Publicis… et compagnon de Cécilia ex-Sarkozy. Jacques Attali est pour sa part conseiller économique du Royaume depuis deux ans et demi ; il joue les sherpas de MBS. Christine Ockrent, journaliste, chroniqueuse est l’auteur d’une biographie sur MBS – dont on ne sait si elle l’a rencontré.

Elle concurrence ainsi, Alexandre Adler, chroniqueur célèbre pour la quantité d’erreurs dans ses analyses, bénéficiaire d’un contrat depuis mai 2018, et qui a pour sa part écrit dans Figarovox un étonnant article attribuant l’assassinat de Khashoggi… aux Turcs. Un article opportunément repris par la chaîne saoudienne Al Arabiya. Mentionnons au passage que ni Michèle Alliot-Marie, ni Rachida Dati, députées européennes, n’ont voté les résolutions dénonçant les atteintes aux droits de l’homme et des femmes dans le Royaume.

Financement de mosquées

Et pour parfaire le tableau, l’Arabie saoudite n’hésite pas à mettre la main à la poche pour financer des actions culturelles. Ainsi, elle a participé au développement du département des arts islamiques du Louvre. Et elle a acquis l’œuvre Salvator Mundi de Leonard de Vinci, exposé au Louvre… d’Abou Dhabi, pas en Arabie.

En termes de propagation du salafisme, la France ne semble pas une cible prioritaire. D’abord parce que la population musulmane est majoritairement maghrébine, ensuite parce que la laïcité y est un principe législatif qui fait encore rempart. Pour autant, le but de ce travail d’influence est bien de maintenir un lobby efficace concentré sur les niveaux décisionnels. La Ligue islamique mondiale (LIM), dont le secrétaire général est toujours saoudien, est ainsi devenue un acteur majeur dans la mise en place des infrastructures cultuelles musulmanes en Europe et notamment dans la construction de mosquées en France. Elle a par exemple participé au financement de la construction de la mosquée de Mantes-la-Jolie en 1980, de celle d’Évry en 1984 et de celle de Lyon en 1994.

Des zones d’ombre demeurent, notamment au sujet des écoles coraniques : qui paye ?

De nombreuses bourses d’études vers des universités islamiques à La Mecque (université al-Mukkarama), à Médine (université al-Munawwara) ou à Riyad (université Ibn Saûd), ont été distribuées dans l’Hexagone afin de concurrencer directement les grandes universités historiques comme celle d’Al-Azhar en Égypte, de la Zaytouna en Tunisie ou d’Al Karawiyine au Maroc. Il y aurait environ 120 Français à Médine (le nombre est inconnu pour Riyad). Et le régime refuse toujours de communiquer leurs noms. Et des zones d’ombre demeurent, notamment au sujet des écoles coraniques.

Qui paye ? Qui assure le salaire des enseignants par exemple dans l’école saoudienne de l’avenue d’Iéna ? La question est sans réponse.

Wahhabisation de l’Islam de France

Cette relative discrétion n’est pas une preuve d’inaction de l’Arabie saoudite. Le rapport Al Karoui pour l’Institut Montaigne parle ainsi pour la première fois de la « wahhabisation de l’Islam de France » et évoque l’influence prépondérante de prédicateurs saoudiens dans la propagation d’un message rigoriste, qu’il illustre à travers cinq d’entre eux. Certains ont plus de followers que le Dalaï-Lama et le Pape et à peine moins que le président des Etats-Unis ! Ce sont Mohamed al-Arifi, Ayid al-Qarni, Ahmad al-Shugairi, Salman al-Ouda et Michari Rachid al-Afasi, qui se classent respectivement 7e, 8e, 10e, 15e et 16e dans le champ du monde des idées sur les réseaux sociaux.

On est ainsi frappé de la critique vive du régime saoudien dans un certain nombre de pays arabo-musulmans, comparée à l’inaction française en matière de travail sur la doctrine wahhabite. Une conférence s’est ainsi tenue à Grozny (Tchétchénie) en septembre 2016 qui a exclu le wahhabisme salafiste de la doctrine du Sunnisme, voire du cadre de la communauté sunnite. Des personnalités de haut rang de l’Islam ont participé à cette conférence : le Recteur de l’Université Islamique Al Azhar du Caire, Ahmed al-Tayeb y figurait auprès de 200 dignitaires religieux, oulémas et penseurs musulmans d’Egypte, de Syrie, de Jordanie, du Soudan et d’Europe. Alors que l’action religieuse saoudienne est dénoncée dans nombre de pays musulmans, elle est soigneusement exclue du champ de l’analyse académique et diplomatique en Occident. Faut-il y voir l’action de lobbying saoudien ?

La diplomatie française applique la philosophie des trois singes : ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler

La question n’est tout simplement pas posée au Quai d’Orsay. La diplomatie française applique la philosophie des trois singes : ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler. Quitte à ce que cette protection se traduise par des réactions diplomatiques hasardeuses. 

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