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La crise de la souveraineté nationale et du patriotisme en France

La France ne manque pas de patriotes , ni de nationalistes de gauche et de droite, « des deux rives », et pourtant ils paraissent très faibles dans la défense du pays contre les deux principales menaces qui pèsent sur sa souveraineté et son identité : l’Union Européenne, et l’OTAN (c’est à dire l’Empire occidental sous domination des États-Unis).

Précisons un point : le patriotisme est légitime lorsque qu’il exprime le sentiment extrêmement répandu d’amour pour le pays que l’on considère comme le sien, et particulièrement quand il contribue à la révolte d’un peuple opprimé. Le nationalisme n’en est que le développement politique. Le nationalisme colonialiste n’est pas légitime, le nationalisme des colonisés l’est. Le patriotisme se dégrade en chauvinisme et le nationalisme cesse d’être légitime quand il exprime avec une ignorante arrogance un sentiment de supériorité par rapport aux autres peuples et une volonté de les léser dans leur intérêt, ou de s’attaquer à leur souveraineté. La patriotisme états-unien très diffusé dans la population qui arbore le drapeau dans le jardin est de ce type. La France a en quelque sorte inventé le patriotisme défensif en 1792, et sa mutation perverse en nationalisme agressif sous la conduite de Bonaparte.

La France d’aujourd’hui est une ancienne grande puissance, c’est à dire une ancienne puissance impérialiste et colonialiste qui a perdu brutalement ce statut en 1940, déclassement confirmé par la décolonisation. Depuis ces jours fatidiques de l’invasion et de l’Exode, et qu’on fasse remonter la nation française à Hugues Capet ou à la prise de la Bastille, le patriotisme français classique et le discours nationaliste qui vise à le traduire dans le champ politique survivent aux conditions historiques de leur apparition.

Malgré son repêchage en 1945 par les alliés occidentaux, pour faire nombre face à l’Union Soviétique et qui lui a valu sa zone d’occupation en Allemagne et son siège permanent au conseil de sécurité (celui que Macron veut donner à l’UE), la France y a perdu l’essentiel de sa souveraineté, au profit des États-Unis et indirectement de l’Allemagne par la médiation de l’UE, et elle évolue pour devenir une aire touristique haut de gamme dans l’ensemble quasi-national que constitue l’Empire occidental dont la culture populaire de masse mais aussi la culture bourgeoise sont de plus en plus homogènes et anglophones. Elle n’a plus de monnaie, et malgré l’arme nucléaire et le siège au conseil de sécurité, elle n’a plus d’autonomie stratégique et diplomatique.

Pourtant les classes populaires restent attachées au patriotisme, comme le prouve la réappropriation du drapeau tricolore par les Gilets Jaunes. Jusqu’à quel point ?

La nation se constitue en réaction à des crises historiques vécues et partagées dans tous le peuple, et se perpétue ensuite par adhésion à un récit scolaire mythique, qui légitime l’action des classes dirigeantes qui sont pourtant les premières à déserter au moment du péril commun. Cette nation verticale et imposée sur plusieurs générations par le pouvoir de classe a une signification contradictoire : si elle sert à assurer la cohésion sociale au bénéfice des classes dirigeantes, elle devient l’espace et le cadre de communication intelligible entre les exploités, et donc le cadre de la lutte des classes. Le mouvement ouvrier est « inter-national » et non mondial- mondialiste. Pour cette raison l’affaiblissement du patriotisme n’est pas une bonne chose pour les classes ouvrières des différents pays.

Certes au début de son existence le mouvement communiste, au cours de la Grande Guerre impérialiste de 1914, s’est identifié avec Lénine au défaitisme révolutionnaire. Mais à la génération suivante, dans le cadre de la lutte internationale contre le fascisme le patriotisme a été complètement réhabilité, et est devenu une composante essentielle de la tradition politique de la IIIème internationale, tandis que les trotskystes et les anarchistes, en retard d’une guerre en sont restés à la position précédente sans comprendre que la situation avait changé du tout au tout de 1914 à 1936, et que pacifisme et défaitisme étaient devenus des instruments du fascisme, des ennemis mortels de la classe ouvrière.

L’idéologie nationaliste appliquée à la lettre détruit le pays qui est son support. L'histoire montre que la menée d’une politique ouvertement nationaliste, qui consiste forcément en la spoliation d’autres nations qui se coalisent pour se défendre mène à la ruine de la nation qui y a cédé (le IIIème Reich en étant l’exemple typique). Il n’est donc pas du tout étonnant de voir des mouvement simultanément nationalistes en parole et antinationaux en fait, comme le RN à généalogie vichyste en France.

L'expérience historique générale montre qu'en cas de coup dur les "élites" de tous les pays préféreront collaborer avec leurs équivalents à résister avec leurs compatriotes exploités.

Par ailleurs l’idée nationale construite sur des récits scolaires (c’était la fonction principale du professeur d’histoire géographie que de créer cette cohésion mentale entre citoyens) peut aussi bien être déconstruite par eux. Ces récits peuvent aussi être scindés en versions antagoniques, comme en France entre le récit monarchiste « de droite » complaisant pour les reliquats réactionnaires des classes de rentiers de la terre et le récit républicain-démocratique « de gauche » conforme aux valeurs des droits de l'homme de la bourgeoisie montante. Ces deux récits sont des conceptions scénarisées en fait très éloignées de la réalité de ce qui a vraiment existé, mais sont en eux-mêmes des objets historiques incontournables pour qui veut agir sur la société.

Convergence en 1914 sous le sceau de l’Union Sacrée, puis chute des deux récits en 1940. 1940 est la date charnière de la capitulation historique de la France, et elle ne s’en est pas remise, la théâtralité gaulliste n’y suffisant pas du tout.

De manière significative, les chantres de gauche et de droite de l'Union Sacrée se sont vautrés dans la collaboration de 1940 à 1944, ou au moins dans une lâche neutralité, tandis que les héritiers du courant Léniniste défaitiste révolutionnaire qui voulaient saboter la guerre impérialiste se retrouvèrent engagés dans la Résistance.

Le patriotisme de la Résistance considéré dans les masses est le fait presque exclusif de la classe ouvrière et si c’est le cas, c’est dû au fait que l’occupant était le fer de lance de la réaction anti-ouvrière mondiale. Cet engagement explique aussi la portée sociale du programme du CNR en 1944, partiellement mis en œuvre au cours des deux années suivantes.

La Résistance proprement gaulliste consiste en enfants perdus des classes dirigeantes conservatrices ou parfois républicaines (avec l'absence significative des libérales). L’héroïsme de ses participants mérite l’admiration, mais sa signification politique est très mince. Cela peut paraître choquant à entendre, mais le gaullisme politique postérieur à la Libération est davantage un pétainisme ripoliné avec changement de képi qu’une continuation de Radio Londres, qui est destiné à offrir une planche de salut politique et morale à la bourgeoisie et à la petite-bourgeoisie française si fortement compromises dans la collaboration. Le parcours de Maurice Papon est bien moins exceptionnel qu'on a voulu le faire croire.

Cela explique selon moi l’incapacité des phraseurs du patriotisme de droite à défendre effectivement l’intégrité nationale devant sa dissolution dans le camp occidental, qu’elles ont elles-mêmes souvent souhaitée. Cela explique la différence de trajectoire entre un Farage en Grande Bretagne, et un Asselineau en France.

Quant à la gauche, c’est l'aile réformiste d’inspiration munichoise, libérale ou anarchisante, dont le pacifisme a été instrumentalisé par des ennemis extérieurs qui règne idéologiquement. Cette « gauche » qui s’est cristallisée au moment des accords de Munich, qui s'est convertie corps et âme à l’alliance américaine, sous l'égide du vieux Léon Blum, et qui s’est annexée l’extrême gauche anti-stalinienne n’a qu’une conviction forte : il faut travailler à l’effacement et à la disparition de la nation dans l’ensemble occidental.

Les trente dernières années sont l’histoire sans gloire de la déroute des souverainistes des deux rives qui furent les derniers à se référer, sans y croire vraiment, aux deux récits nationaux français. Séguin, Chevènement, le front des beaux parleurs vaincus de Maastricht, accompagné de la mutation européiste du PCF.

Aujourd’hui la bourgeoisie substitue un néo-nationalisme occidental qui n'ose pas dire son nom et qui se définit contre la Russie, l’islam et la Chine, au nationalisme proprement national. Depuis deux générations l’école « républicaine » et l’école « libre » rivalisent pour déconstruire méticuleusement le récit patriotique précédent pour le remplacer par un récit explicitement européen, postcolonial et wokiste avant la lettre qui conserve en fait la perspective de l’exceptionnalisme occidental, et implicitement blanc-chrétien européen, qui essaye de persévérer en douce sous le masque de la repentance.

La vitalité d’une nation se mesure à :

- la puissance autonome de sa bourgeoisie ; en France, elle est en voie de subordination complète, comme le montre le choix de Macron pour  direction, tête superficielle sans esprit de synthèse, à la vision historique bricolée d'éléments disparates incohérents.

- sa capacité à s’inscrire dans le cours révolutionnaire de l’histoire. Le désarmement de la classe ouvrière et la désindustrialisation rendent pessimiste en la matière.

Malgré cela, la nation objective est le cadre historique où se déroule la lutte des classes encore aujourd’hui. Elle ne peut pas se développer dans la quasi-nation de l’Occident qui est définie par son rapport postcolonial au reste du monde. La « communauté internationale » occidentale est en fait l’extension à l’Europe de la neutralisation de la lutte des classes qui a eu lieu aux États-Unis après 1945. Maccarthysme compris.

Que faire dans ces conditions ? Le patriotisme peut se reconstruire dans la lutte sociale et anti-impérialiste, comme à Cuba, ou en Chine, mais il n’est pas une ressource à portée de la main pour reconstruire le parti de la lutte sociale dans un pays où le patriotisme vécu, la conscience de classe et la conscience tout court ont considérablement reculé , pour se dissoudre dans l'ère du vide.

L’extrême-droite détourne ce qui reste du sentiment patriotique vers le racisme et la xénophobie, à cause du boulevard laissé par la gauche qui a remisé et diabolisé la critique rationnelle de l’immigration, qui est pourtant une des constantes marquante de la conscience de classe. Les ouvriers, y compris les ouvriers immigrés, savent très bien que les migrations sont dirigées contre eux. La récupération de la xénophobie ouvrière développée par la concurrence des nouveaux venus sur le salaire et les services public est d’autant plus facile que la gauche imbibée de l’idéologie dominante libérale apparaît comme une enthousiaste pratique des flux migratoires. Le PCF dirigé par Georges Marchais, tout en organisant et en défendant les travailleurs immigrés était opposé aux flux migratoires, et en cela il était sur la même longueur d’onde que les masses ouvrières qu’il était voué à représenter.

Gilles Questiaux

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Tag(s) : #Idéologie
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