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      INVESTIG'ACTION

Le Conseil national de sécurité et de défense (NSDC) a été utilisé par Zelensky en 2021 pour sanctionner certaines personnes, principalement des rivaux politiques.  Pouvez-vous expliquer ce qu’est le NSDC, pourquoi Zelensky l’a utilisé et si cela était légal ou pas ?

Après l’effondrement de son soutien populaire en 2021, Zelensky a lancé un processus inconstitutionnel de sanctions extrajudiciaires contre ses opposants politiques. Ces sanctions étaient  imposées par le Conseil national de sécurité et de défense (NSDC). Elles impliquaient la saisie extrajudiciaire de biens sans aucune preuve d’activités illégales de la part des personnes physiques et morales concernées. Parmi les premiers à être sanctionnés par le NSDC figurent deux députés parlementaires de la Plate-forme d’opposition « Pour la vie » (OPZZh) – Victor Medvedchuk (qui a ensuite été arrêté et montré à la télévision avec le visage battu après un interrogatoire) et Taras Kozak (qui a réussi à s’échapper d’Ukraine), ainsi que des membres de leurs familles. Cela s’est produit en février 2021. En mars 2022, 11 partis d’opposition ont été interdits. Les décisions d’interdire les partis d’opposition et de sanctionner les dirigeants de l’opposition ont été prises par le NSDC ; et elles ont été mises en œuvre par décrets présidentiels.

La Constitution ukrainienne stipule que le Conseil de la sécurité nationale et de la défense est un organe de coordination : il « coordonne et contrôle l’activité des organes du pouvoir exécutif dans le domaine de la sécurité nationale et de la défense. » Cela n’a rien à voir avec la poursuite des opposants politiques et la confiscation de leurs biens – ce que le NSDC fait depuis 2021. Il va sans dire que ces méthodes du régime de Zelensky sont inconstitutionnelles – seuls les tribunaux peuvent décider de qui est coupable ou pas, et confisquer les biens. Le problème, c’est que les tribunaux ukrainiens se sont montrés peu enclins à jouer les marionnettes de Zelensky. Le président de la Cour constitutionnelle ukrainienne, Oleksandr Tupytskyi, a notamment qualifié les réformes anticonstitutionnelles du président de « coup d’État ». Zelensky n’a eu donc d’autres choix que de s’appuyer sur le NSDC pour faire avancer ses politiques impopulaires. La suite pour le « dissident » Tupytskyi?  Le 27 mars 2021 – toujours en violation de la Constitution ukrainienne – Zelensky a signé un décret annulant sa nomination en tant que juge de la Cour.

Sous le règne de Staline, le Commissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD) a créé des « troïkas » pour prononcer des condamnations à l’issue d’enquêtes simplifiées et rapides, et sans procès public et équitable. Ce que nous observons dans le cas du NSDC est un développement très similaire, sauf que les procès anticonstitutionnels du NSDC comptent un plus grand nombre de participants – tous les personnages clés de l’État, y compris le président, le Premier ministre, le chef du service de sécurité ukrainien, le procureur général de l’Ukraine, etc. Une seule réunion du NSDC peut décider du destin de centaines de personnes. Rien qu’en juin 2021, M. Zelensky a mis en œuvre une décision du NSDC visant à imposer des sanctions à 538 personnes et 540 entreprises.

J’aimerais vous interroger sur la liste des « artisans de la paix » (Myrotvorets) qui serait affiliée au gouvernement ukrainien et aux services de renseignement du SBU. 

D’après ce que j’ai compris, il s’agit d’une liste d’ « ennemis de l’État » qui publie leurs données personnelles.  Plusieurs des personnes qui y figuraient ont été assassinées par la suite. Pouvez-vous nous parler de cette liste, de la façon dont les gens y figurent et de la place qu’elle occupe dans un gouvernement soi-disant démocratique ?

Le site nationaliste Myrotvorets a été lancé en 2015 « par un député du peuple occupant un poste de conseiller au ministère de l’Intérieur de l’Ukraine » – c’est ainsi que le rapport de l’ONU le décrit. Le nom de ce député du peuple est Anton Gerashchenko, un ancien conseiller de l’ancien ministre des Affaires intérieures Arsen Avakov. C’est sous le patronage d’Avakov en 2014 que des bataillons nationalistes de répression ont été créés pour être envoyés dans le Donbass afin de supprimer la résistance populaire contre le Maïdan. Myrotvorets a fait partie de la stratégie générale d’intimidation des opposants au coup d’État. Tout « ennemi du peuple » – quiconque ose exprimer publiquement des opinions anti-Maidan ou contester le programme nationaliste de l’Ukraine – peut se retrouver sur ce site. Les adresses d’Oles Buzina, un célèbre journaliste, abattu par des nationalistes près de son immeuble à Kiev, et d’Oleg Kalashnikov, un député de l’opposition tué par des nationalistes dans sa maison, figuraient également sur Myrotvorets. Ce qui a aidé les tueurs à trouver leurs victimes. Les noms des meurtriers sont bien connus, mais ils ne sont pas emprisonnés, car dans l’Ukraine contemporaine, où la vie politique est contrôlée par les radicaux, ils sont considérés comme des héros.

Le site n’a pas été fermé, même après qu’éclate un scandale international: Myrotvorets avait publié les données personnelles d’hommes politiques étrangers bien connus, dont l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder. Cependant, contrairement à M. Schröder qui réside en Allemagne, les milliers d’Ukrainiens dont les données se trouvent sur Myrotvorets ne peuvent pas se sentir en sécurité. Toutes les personnes arrêtées en mars 2022 avaient également été listées sur Myrotvorets. Je connais personnellement certains d’entre eux – Yuri Tkachev, le rédacteur en chef du journal Timer d’Odessa et Dmitry Dzhangirov, le rédacteur en chef de Capital, une chaîne YouTube.

Beaucoup de ceux dont les noms figurent sur Myrotvorets ont réussi à fuir l’Ukraine après le Maïdan ; d’autres ont pu le faire après les arrestations massives de mars dernier. L’un d’entre eux est Tarik Nezalezhko, le collègue de Dzhangirov. Le 12 avril 2022, alors qu’il était déjà en sécurité hors d’Ukraine, il a publié un message sur YouTube, qualifiant le service de sécurité ukrainien de « Gestapo » et donnant des conseils à ses abonnés sur la manière d’éviter d’être capturé par ces agents.

De fait, l’Ukraine n’est pas un pays démocratique. Plus j’observe ce qui s’y passe, plus je pense à la voie de modernisation d’Augusto Pinochet, un personnage qui est d’ailleurs admiré par nos néolibéraux. Pendant une longue période, les crimes du régime de Pinochet n’ont pas fait l’objet d’enquêtes. Mais au final, l’humanité a découvert la vérité. J’espère juste qu’en Ukraine, cela se produira plus tôt.

L’universitaire ukrainien Volodymyr Ishchenko a déclaré dans une interview récente avec la NLR que, contrairement à l’Europe occidentale, il y a davantage de partenariat entre le nationalisme et le néolibéralisme en Europe orientale postsoviétique.  Ce phénomène a même été observé dans le Donbass parmi les personnes les plus aisées. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?  Si oui, pouvez-vous expliquer comment cette alliance a évolué ?

Je suis d’accord avec Volodymyr. Ce que nous observons en Ukraine est une alliance de nationalistes et de libéraux fondée sur leur intolérance commune à l’égard de la Russie et, respectivement, de tous ceux qui prônent la coopération avec elle. À la lumière de la guerre actuelle, cette unité des libéraux et des nationalistes peut sembler justifiée. Cependant, l’alliance a été créée bien avant cette guerre – en 2013, lors de la formation du mouvement Maidan. Pour les libéraux, l’accord d’association avec l’Union européenne, défendu par le Maïdan, était principalement perçu en termes de démocratisation, de modernisation et de civilisation – il était imaginé comme un moyen d’amener l’Ukraine aux normes européennes de gouvernance. En revanche, l’Union économique eurasienne, dirigée par la Russie, était associée à une régression civilisationnelle vers l’étatisme soviétique et le despotisme asiatique. C’est là que les positions des libéraux et des nationalistes ont convergé : ces derniers ont soutenu activement le Maïdan non pas en raison de la démocratisation, mais en raison de sa position clairement anti-russe.

Dès les premiers jours des manifestations, les nationalistes radicaux ont été les combattants les plus actifs du Maïdan. L’unité entre les libéraux associant l’Euromaïdan au progrès, à la modernisation, aux droits de l’homme, etc., et les radicaux cooptant le mouvement pour leur programme nationaliste était une condition préalable importante à la transformation de la protestation civique en une lutte armée aboutissant à un renversement anticonstitutionnel du pouvoir. Le rôle décisif des radicaux dans la révolution est également devenu un facteur crucial dans la formation d’un mouvement anti-Maidan de masse dans l’est de l’Ukraine, mouvement contre le « coup d’État », comme le discours hégémonique anti-Maidan a baptisé le changement de pouvoir à Kiev. Au moins en partie, ce que nous observons aujourd’hui est le résultat tragique de cette alliance malheureuse et sans vision à long terme, formée pendant le Maïdan.

Pouvez-vous expliquer quelle a été la relation de Zelensky avec l’extrême droite en Ukraine ?

Zelensky lui-même n’a jamais exprimé d’opinions d’extrême droite. Dans sa série « Serviteur du peuple », qui a été utilisée comme plateforme électorale non officielle, les nationalistes ukrainiens sont dépeints de manière négative : ils n’apparaissent comme rien d’autre que les marionnettes d’oligarques stupides. En tant que candidat à la présidence, Zelensky a critiqué la loi sur la langue signée par son prédécesseur Porochenko, qui faisait de la connaissance de la langue ukrainienne une exigence obligatoire pour les fonctionnaires, les soldats, les médecins et les enseignants. « Nous devons initier et adopter des lois et des décisions qui consolident la société, et non l’inverse », affirmait Zelensky-le-candidat en 2019.

Cependant, après avoir assumé la fonction présidentielle, Zelensky s’est tourné vers le programme nationaliste de son prédécesseur. Le 19 mai 2021, son gouvernement a approuvé un plan d’action pour la promotion de la langue ukrainienne dans toutes les sphères de la vie publique, un plan strictement conforme à la loi linguistique de Porochenko, pour le plus grand plaisir des nationalistes et la consternation des russophones. Zelensky n’a rien fait pour poursuivre les radicaux pour tous les crimes qu’ils avaient commis contre les opposants politiques et la population du Donbass. Le symbole de la transformation droitière de Zelensky s’est manifesté à travers le soutien que lui a apporté le nationaliste Medvedko, l’un des accusés du meurtre de Buzina. Medvedko a publiquement approuvé l’interdiction par Zelensky des chaînes d’opposition en langue russe, en 2021.

La question est de savoir pourquoi. Pourquoi Zelensky a-t-il fait volte-face en faveur du nationalisme alors que les gens espéraient qu’il poursuivrait une politique de réconciliation ? Comme le pensent de nombreux analystes, c’est parce que les radicaux, bien que représentant une minorité de la population ukrainienne, n’hésitent pas à utiliser la force contre les politiciens, les tribunaux, les forces de l’ordre, les journalistes, etc. En d’autres termes, ils sont tout simplement bons pour intimider la société, y compris toutes les branches du pouvoir. Les propagandistes peuvent répéter aussi souvent qu’ils le veulent le mantra « Zelensky est juif, il ne peut donc pas être nazi ». Mais la vérité, c’est que les radicaux contrôlent le processus politique en Ukraine par la violence contre ceux qui osent s’opposer à leurs programmes nationalistes et suprématistes. Le cas d’Anatoliy Shariy – l’un des blogueurs les plus populaires d’Ukraine vivant en exil – est un bon exemple pour illustrer ce point. Non seulement lui et les membres de sa famille reçoivent en permanence des menaces de mort, mais les radicaux ne cessent d’intimider les militants de son parti (interdit par Zelensky en mars 2022), en les passant à tabac et en les humiliant. Les radicaux ukrainiens appellent ça des « safaris politiques ».

En ce moment, Zelensky est la figure la plus influente sur la scène mondiale par rapport à un conflit qui aura de graves implications s’il s’aggrave. Je crains qu’il n’utilise ces mêmes talents de manipulateur du show-biz pour rallier le soutien derrière cette image d’une incarnation personnelle de la démocratie et de la justice contre les forces du mal et l’autocratie. C’est comme un film basé sur l’univers des bandes dessinées Marvel. Et c’est précisément le type de scénario qui semble contraire à la diplomatie. Pensez-vous que Zelensky joue un rôle constructif en tant que leader de guerre de l’Ukraine ou pas ?

Je suis régulièrement les discours de guerre de Zelensky, et je peux affirmer avec certitude que la façon dont il présente le conflit ne peut guère conduire à une résolution diplomatique, puisqu’il répète en permanence que les forces du bien sont attaquées par les forces du mal. Il est clair qu’il ne peut y avoir de solution politique pour un tel Armageddon. Ce qui est exclu de ce cadre de référence mythique de la guerre, c’est le contexte plus large des événements : le fait que l’Ukraine refuse depuis des années d’appliquer les accords de paix de Minsk, signés en 2015 après la défaite de l’armée ukrainienne dans la guerre du Donbass. Selon ces accords, le Donbass devait recevoir une autonomie politique au sein de l’Ukraine – un point inconcevable et inacceptable pour les radicaux. Au lieu de mettre en œuvre ce document, ratifié par l’ONU, Kiev s’est battu avec le Donbass le long de la ligne de démarcation pendant huit longues années. La vie des Ukrainiens vivant dans ces territoires s’est transformée en cauchemar. Pour les radicaux, dont les bataillons se sont battus là-bas, les habitants du Donbass – imaginés comme des sovki et des vatniki – ne méritent ni pitié ni indulgence.

La guerre actuelle est une prolongation de la guerre de 2014, qui a commencé lorsque Kiev a envoyé des troupes dans le Donbass pour réprimer la rébellion anti-Maidan sous couvert de la soi-disant « opération antiterroriste ». La reconnaissance de ce contexte plus large ne présuppose pas l’approbation de  » l’opération militaire  » de la Russie, mais elle implique la reconnaissance que l’Ukraine est également responsable de ce qui se passe. Formuler la question de la guerre actuelle en termes de combat de la civilisation contre la barbarie ou de la démocratie contre l’autocratie n’est rien d’autre que de la manipulation. C’est essentiel pour comprendre la situation. La formule de Bush « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes » est propagée par Zelensky dans ses appels au « monde civilisé ». Cette formule s’est avérée très commode pour écarter toute responsabilité personnelle dans le désastre en cours.

Pour vendre cette histoire unidimensionnelle au monde entier, les compétences artistiques de Zelensky semblent inestimables. Il est enfin sur la scène mondiale, et le monde applaudit. L’ancien comédien ne cherche même pas à cacher sa satisfaction. Répondant à la question d’un journaliste français le 5 mars 2022 – le dixième jour de l’invasion russe – sur la façon dont sa vie avait changé avec le début de la guerre, Zelensky a répondu avec un sourire empreint de plaisir : « Aujourd’hui, ma vie est belle. Je crois que l’on a besoin de moi. Je pense que c’est le sens le plus important de la vie – être utile. Sentir que vous n’êtes pas seulement un vide qui ne fait que respirer, marcher et manger. Vous vivez. »

Pour moi, cette construction est alarmante : elle implique que Zelensky jouit de l’opportunité unique de se produire sur une scène mondiale offerte par la guerre. Elle a rendu sa vie belle ; il vit. Contrairement à des millions d’Ukrainiens dont la vie n’est pas belle du tout et à des milliers d’autres qui ne sont plus en vie.

 

 

Alexander Gabuev a suggéré que les dirigeants russes manquent d’expertise sur le pays, ce qui aurait alimenté le conflit.  J’ai également entendu des commentateurs russes suggérer que l’Ukraine avait une attitude supérieure en ce qui concerne le fait d’être pro-occidental ou pro-russe. Pensez-vous qu’il s’agisse d’un facteur important pour les deux parties ?

J’ai tendance à être d’accord avec l’affirmation concernant le manque de compréhension de la part des dirigeants russes sur les processus sociaux qui se déroulent en Ukraine depuis le Maïdan. En effet, la moitié de la population ukrainienne n’a pas accueilli favorablement le Maïdan, et des millions de personnes vivant dans le sud-est souhaitaient que la Russie intervienne. Je le sais avec certitude, car tous mes proches et mes vieux amis résident dans ces territoires. Cependant, ce qui était vrai en 2014 ne l’est plus forcément aujourd’hui. Huit années ont passé ; une nouvelle génération de jeunes, élevés dans un nouvel environnement social, a grandi ; et beaucoup de gens se sont simplement habitués à de nouvelles réalités. Enfin, même si la plupart d’entre eux méprisent les radicaux et la politique d’ukrainisation, ils détestent encore plus la guerre. La réalité sur le terrain s’est avérée plus complexe que ne le prévoyaient les décideurs.

Qu’en est-il du sentiment de supériorité des Ukrainiens qui s’identifient aux Occidentaux plutôt qu’aux Russes ?

C’est vrai et, en ce qui me concerne, c’est la partie la plus tragique de toute l’histoire post-Maidan, car c’est exactement ce sentiment de supériorité qui a empêché les forces pro-Maidan « progressistes » de trouver un langage commun avec leurs compatriotes pro-russes « arriérés ». Cela a conduit au soulèvement du Donbass, à l' »opération antiterroriste » de l’armée ukrainienne contre le Donbass, à l’intervention de la Russie, aux accords de paix de Minsk, à leur non-respect et, enfin, à la guerre actuelle.

 

Source originale: Grayzone

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

Tag(s) : #Ukraine
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