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UN TEXTE D'Yvonne Bollmann

25 septembre 2008 

 

EN DIRECTION DE L'EUROPE DES REGIONS ...

  

On entendra beaucoup parler de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau en 2009. Il sera mis en valeur par le sommet qui s’y tiendra pour le 60ème anniversaire de l’OTAN. Ainsi que Spiegel online l’avait annoncé en mars dernier[1], ce sommet devait avoir lieu à Paris, et non, comme initialement prévu, à Berlin, où l’on avait démenti, mais où les préparatifs étaient déjà en cours. En guise de concession à Nicolas Sarkozy, Angela Merkel avait suggéré de lui donner pour cadre Strasbourg-Kehl. C’est donc en fin de compte la proposition allemande qui a prévalu. De par la volonté de Berlin, avec l’estampille OTAN, ce sera la consécration officielle de l’Eurodistrict aux yeux du monde entier.

Le congrès à huis clos franco-allemand des 10 et 11 octobre prochains, qui devait décider, à Lahr, d’ « orientations politiques concrètes pour l’Eurodistrict », ne doit pas entériner cette politique funeste pour la France. 

   

Naissance de l’eurodistrict Strasbourg-Ortenau

 

Le 22 janvier 2003, dans leur déclaration commune franco-allemande à l’occasion du quarantième anniversaire du Traité de l’Elysée, Jacques Chirac et Gerhard Schröder ont appelé à la création d’un Eurodistrict Strasbourg-Kehl, destiné entre autres à « explorer de nouvelles formes de coopération ». Dans la quinzaine qui a suivi, les maires de Lahr, d'Achern et d'Offenbourg ont été invités à Berlin par le ministère allemand des Affaires étrangères pour des consultations sur cette nouvelle entité territoriale[2] ; il s’agissait, à en juger par le résultat, d’en étendre le périmètre bien au-delà de Kehl et d’y englober l’Ortenaukreis tout entier. Dès le 24 mai 2003, la Résolution commune des collectivités locales désignées pour la création d’un Eurodistrict (l’Ortenaukreis, la Ville d’Offenbourg,la Ville de Lahr, la Ville de Kehl, la Ville d’Achern, la Ville d’Oberkirch, la Communauté Urbaine de Strasbourg), a reconnu cette décision allemande.

 

Il y a ensuite eu la Note de cadrage des Ministres délégués aux affaires européennes français et allemands, du 30 juin 2003, le « Livre Blanc Strasbourg-Ortenau – Orientations et projets pour un développement commun », du 1er décembre 2003, la liste des domaines d’actions prioritaires, du 21 janvier 2004, la décision du Gouvernement français de retenir « l’agglomération transfrontalière franco-allemande formée par Strasbourg et l’Ortenaukreis réunis par un projet de district européen » parmi les lauréats de l’appel à coopération métropolitaine lancée par la DATAR, le 7 avril 2005, avant d’en arriver à la signature, le 17 octobre 2005, de la Convention relative à la création de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau.

 

Le 17 octobre 2006, dans un communiqué de presse[3], Robert Grossmann, Président de la Communauté Urbaine et Klaus Brodbeck, Landrat de l’Ortenaukreis, en leur qualité de porte-parole de l’Eurodistrict et au nom de l’ensemble des partenaires français et allemands réunis au sein de cette assemblée transfrontalière, ont salué « le travail considérable accompli au cours de l’année écoulée ». Ils ont rappelé « la ligne directrice de l’Eurodistrict qui, au-delà de la coopération transfrontalière « classique », ambitionne de devenir un territoire pilote en matière d’intégration approfondie dans les régions frontalières et d’agir comme force de proposition, révélateur d’initiatives existantes et lobby politique afin de faire évoluer les législations nationales et européennes ». Ils ont annoncé qu’ « après une période de mise en place des structures propres à l’Eurodistrict (Conseil de l’Eurodistrict et groupes d’experts) et de réflexion afin de définir les premiers axes de travail prioritaires de cette assemblée, l’année 2007 sera celle des actions et réalisations concrètes, au bénéfice de la population de l’Eurodistrict de part et d’autre du Rhin » : « Des actions spécifiques permettront de développer de manière équilibrée les deux grands volets de l’Eurodistrict que sont d’une part, le travail institutionnel de fond mené au sein de groupes d’experts dans le but de faire évoluer et, si possible, d’harmoniser les réglementations françaises et allemandes, et d’autre part, l’organisation de manifestations et animations grand public permettant aux scolaires et plus largement à l’ensemble de la population de mieux appréhender la réalité transfrontalière de ce périmètre. »
Cette dernière phrase montre bien les deux niveaux distincts où se situent les choses.

 

 

L’Eurodistrict dans l’action politique de Roland Ries

 

Dans son ouvrage L’Alsace et la gauche, Un terreau pour la social-démocratie, Roland Ries a écrit que « c’est bien à une gauche girondine, autochtone, attachée à défendre de façon pragmatique les spécificités de cette région, que les populations sont disposées à faire confiance et non à une gauche nationale, jacobine et anticléricale, pièce rapportée sur le tissu régional »[4].
On comprend que l’Eurodistrict soit l’un de ses chevaux de bataille préférés.

Lors de la campagne pour les élections municipales de 2008, Roland Ries a estimé insuffisant le statut de coopération transfrontalière porté par Fabienne Keller et Robert Grossmann. A peine élu maire de Strasbourg, il a confirmé ses intentions à ce sujet dans un point de presse consacré aux projets de la nouvelle majorité : « J’ai le projet fort de créer un vrai eurodistrict, un district européen à statut juridique et fiscal particulier qui accueillerait de grandes institutions européennes et les sièges sociaux de grands groupes européens. » (…) Le district bénéficierait d’un « statut d’extraterritorialité, un peu sur le mode de Washington D.C. », la capitale fédérale des Etats-Unis, « qui ne constitue formellement pas un des cinquante Etats américains ». Il s’agit désormais de « passer de la coopération à la codécision ».
Sans être sûr que le projet aboutisse et soit accepté par Paris et Berlin, Ries estime que « la bataille vaut la peine d’être menée ». A l’appui de ce projet, il envisage d’organiser une « consultation populaire, sous une forme à déterminer », tout en rappelant que la Constitution allemande interdit la tenue de référendums
[5].

Le 4 avril 2008, Roland Ries a confirmé dans les Dernières Nouvelles d’Alsace qu’il est partisan, pour l’Eurodistrict, d’ « une pleine autonomie politique, opérationnelle et financière, tout en garantissant le maintien et le respect de la souveraineté nationale »[6].
Dans l’entre-deux-guerres, les autonomistes « alsaciens-lorrains » se présentaient comme une « minorité nationale dans le cadre de la France » ; cette rhétorique « du cadre » leur permettait de s’exprimer sans tomber sous le coup de la loi.
Les autonomistes alsaciens d’aujourd’hui saluent l’ « heureux et salutaire tournant » qu’a pris Roland Ries par rapport à la politique de l’équipe municipale précédente, ajoutant que « l’Eurodistrict sera nécessairement doté d’un statut bilingue français-allemand qui pourrait faire tache d’huile et, pour finir, être étendu à toute l’Alsace » ; c’est dans Vivre l’Alsace, cahier d’inspiration autonomiste hébergé par le magazine Tonic de septembre 2008.

Deux mois plus tard, la Frankfurter Allgemeine Zeitung annonce que Roland Ries voit l’Eurodistrict comme un « grand espace transfrontalier », et qu’il propose la création d’une « commission transfrontalière », ainsi que des « réunions communes des conseils municipaux ».
A ce sujet, on peut approuver l’analyse d’Anthony Crézégut, du PCF Paris 15 : « Sur le plan institutionnel, l’eurodistrict est un moyen de contourner les assemblées démocratiquement élues (…) Des institutions transfrontalières recevraient les compétences communales, disposeraient du pouvoir décisionnel, secondées par des comités d’experts et des commissions de travail thématiques sans légitimité. Les citoyens éliraient des municipalités dessaisies dans les faits de leurs prérogatives décisives. Le cadre de la souveraineté communale (et nationale) serait dépassé ».

Le 15 juin 2008, lors d’un débat[10] avec Günther Petry, le maire de Kehl, Roland Ries semble être revenu sur un aspect de son projet pour l’Eurodistrict : il ne le « situe pas dans la perspective d'une extraterritorialité, comme certains l'ont dit trop vite et trop mal. Il est suffisamment réaliste et il connaît les lois des Républiques françaises et allemandes pour ne pas tomber dans des excès de vocabulaire. Il sait aussi que la construction d'une Europe unie, y compris localement, ne consiste pas à supprimer les frontières mais à les transcender. (…) Il s'agit de dépasser la classique coopération transfrontalière, de sortir du droit commun de la concertation bi-nationale pour aboutir à une véritable co-décision sur toute une série de sujets qui concernent  la vie quotidienne des habitants et qui sont déterminants pour l'avenir de cette région qui a tout pour devenir un « vrai territoire européen ». L’Eurodistrict est défini en tant qu’ « agglomération binationale » qui a le Rhin comme « fleuve traversant » (sic).

Le 2 juillet 2008, on apprend que Roland Ries et son homologue allemand Wolfgang G. Müller, maire de Lahr, ont créé un groupe de travail qui présentera à l’automne un document sur la forme juridique de l’Eurodistrict. Müller parle de la phase « laboratoire d’idées » en la matière. Ries signale qu’il veut organiser en 2009 une consultation citoyenne transfrontalière..

 

Le 8 juillet 2008, dans un discours au Parlement européen, le maire de Strasbourg a remis sur le devant de la scène médiatique ce qui avait constitué un point majeur de sa campagne : le renforcement de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau. Pour lui, les quatre axes majeurs du projet Eurodistrict sont l’adoption d’un « Agenda 21 » (concernant le développement durable) à l’échelle transfrontalière, le renforcement de l’attractivité économique et sociale du territoire, la création d’un espace culturel commun et enfin le rayonnement de Strasbourg et de l’Ortenau en Europe et dans le monde : « L’objectif est de trouver un statut juridique et fiscal spécifique pour permettre a Strasbourg de jouer pleinement son rôle européen et de lui donner une dimension internationale qui est aujourd’hui encore un peu problématique ». Roland Ries confirme que pour faire participer les citoyens à la construction de cet Eurodistrict, il envisage une consultation populaire sur les attentes des citoyens des deux côtés de la frontière, et que cette consultation, destinée à évaluer l’adhésion de la population autour de ce projet, sera menée parallèlement aux élections européennes de 2009.

 

Le 4 septembre 2008, lors de l’inauguration de la Foire européenne de Strasbourg, Jean-Pierre Jouyet s’est pour ainsi dire porté garant du projet de Roland Ries : « A tous ceux qui mettent l'Europe en demeure d'apporter la démonstration par la preuve de ce qu'elle apporte à nos concitoyens, je les renvoie au quotidien des transfrontaliers (sic). Imaginez ce qu'il en serait si nous n'avions pas fait l'Europe ! J'ai la conviction que l'on peut aller beaucoup plus loin encore. Il faut pouvoir faire preuve de créativité, ajuster les normes aux réalités locales, accepter de sortir de nos schémas administratifs classiques. C'est l'essence même de la politique que de rendre possible ce genre d'adaptations ! C'est la raison pour laquelle j'ai confié une mission exploratoire à M. Bernard Cottin, afin qu'il évalue les conditions, notamment juridiques, d'un approfondissement de la coopération transfrontalière de l'Eurodistrict Strasbourg-Ortenau. Il effectuera cette mission avec M. Vetter, ancien ministre du Land de Bade-Wurtemberg et je remercie les autorités allemandes de leur implication, notamment mon ami, Günter Gloser. "
 Mais les amis du secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes ne sont pas forcément aussi des amis de la France.


SUITE DE L'ETUDE DEMAIN
SUR CE BLOG
 



REFERENCES :

  


[1] Spiegel online, « Un nouveau coup de Sarkozy contre Merkel », 8 mars 2008.

[2] Badische Zeitung

[3] www.strasbourg.fr

 

[4] Roland Ries, L’Alsace et la gauche, p.24  (Le Verger Editeur, 2007).

[5] Dépêche AFP du 17 mars 2008.

[6] Cité dans le magazine Tonic, Informations, Humour et Satire en Alsace, numéro 119, septembre 2008, p.39.

[7] En allemand, « Grossraum » a une résonance différente, évoquant entre autres les travaux de Carl Schmitt en matière de géopolitique.

[8] Frankfurter Allgemeine Zeitung, 4 juin 2008.

 

[10] Ce débat s’est déroulé à la Librairie Kléber de Strasbourg ; un compte rendu s’en trouve sur le site http://www.relatio-europe.eu/une/35-eurodistrict/3649-le-grand-pari-de-roland-ries-sur-leurodistrict-strasbourg-ortenau-?tmpl=component&print=1&page=

 

[11] Badische Zeitung

[13] https://pastel.diplomatie.gouv.fr/editorial/actual/ael2/bulletin.asp?liste=20080905.html&xtor=EPR-7

Tag(s) : #Europe
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