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1953-2013.Un demi-siècle s'est écoulé depuis les évènements racontés ici.

A l'époque, la monnaie s'échangeait en francs (anciens encore) et il n'y avait pas de Premier Ministre mais un Président du Conseil. Celui en fonction se nommait Joseph Laniel, adhérent à un parti de droite proche du Centre National des Indépendants et Paysans d'Antoine Pinay.

Ce Laniel fut député du Calvados de 1932 à 1958. Il s'est distingué, lui aussi, en votant les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940. Il "atterrit" dans la Résistance quelques années plus tard comme le firent certains hommes politiques de la IIIe République lorsqu'ils sentirent le vent tourner.

Il s'opposa aussi à l'impôt sur le capital.

Vous voyez que la droite actuelle n'a pas changé.

Il devint président du Conseil des Ministres le 27 juin 1953.

Cela débute fort

Le 4 août 1953, les postiers de Bordeaux déclenchent une grève illimitée et le gouvernement réussit l'exploit de mettre dans l'action quatre millions de salariés pendant un mois. Le président de la République, le premier depuis la Libération, était Vincent Auriol, de la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière), ancêtre du Parti Socialiste. La configuration politique du gouvernement était à droite. Il n'y avait à gauche que le PCF, la SFIO naviguant de gauche à droite en participant parfois à des exécutifs classés à droite

Quelques jours avant

Nous sommes le lundi 13 juillet 1953. La majorité de droite des députés s'octroie 25 000 francs d'augmentation par mois et un treizième mois d'allocations familiales. Le cartel des travailleurs des secteurs publics et nationalisés appelle à des arrêts de travail pour le mercredi 15 juillet. Les cheminots des Réseaux Secondaires Nord et Nord-Est débrayent à 100 %. C'est le quotidien communiste de Saint-Etienne Le Patriote qui l'annonce. Les réseaux secondaires sont de petites lignes ferroviaires dépendant soit de la SNCF, soit du privé. Dans notre région, c'est ce qu'il fut coutume d'appeler le tacot à cause sans doute de sa petite vitesse. Elles desservaient entre autres les localités de Montfaucon, Lamastre, Le Cheylard.

Août 53

Le journal La Tribune, quotidien à tendance radical socialiste, écrit le 4 août: " Le gouvernement veut un redressement économique et financier. Deux trains de décrets sont prévus: un vers le 15 août, l'autre un mois plus tard. L'un de ces décrets prévoit le recul de l'âge de la retraite pour les fonctionnaires et les services publics."
Décidément, la droite a de la suite dans les idées réactionnaires.

Est-il besoin de connaître ce que Sarkozy a réussi à obtenir en 2007 ?

Mais les salariés ne sont pas décidé à se laisser faire. Ce jour-là, la grève est effective dans les services publics. Le conseil supérieur de la fonction publique examine les projets gouvernementaux concernant les services publics, les fonctionnaires, la santé.

Le 6 août, le gouvernement prévoit pour 1954 un déficit budgétaire de 870 milliards de francs (6 milliards d'euros, comparaison tout à fait relative compte tenu de la valeur des monnaies cette année-là) et envisage des mesures sévères sur les budgets civils et militaires. Tiens, tiens, ne retrouve-t-on pas les mêmes recettes en 2008 ! Les PTT sont toujours dans l'action (la poste et le téléphone étaient alors une même entreprise tout comme EDF et GDF). Elle est largement suivie (La Tribune du 6 août 1953).

Le 7 août, Le Patriote informe que les postiers sont en grève totale à Saint-Etienne. Les syndicats cheminots stéphanois sortent un appel unitaire pour cesser le travail du 7 août à minuit jusqu'à 8h du matin. Le communiqué est signé CGT Duchesne, CFTC Riocreux (la CFDT n'existait pas encore), pour les Cadres Autonomes Derive Dury pour FO. Il y a grève aussi à l'Arsenal de Roanne, à EGF Loire, chez les mineurs.

La Tribune de ce même jour estime que deux millions d'employés des services publics sont en grève de 24 heures, tandis qu'elle gagne toute la France pour les PTT. Les syndicats déclarent se trouver en état de légitime défense, alors que le gouvernement réquisitionne le personnel dans les centraux téléphoniques...

Dans un message, Laniel menace "en mettant en garde contre les rumeurs alors qu'il n'a pas encore été statué sur les mesures à prendre... et accuse les syndicats d'utiliser les fonctionnaires pour empêcher les réformes et remises en ordre nécessaires".

Aujourd'hui, ce sont les usagers qui sont pris en "otages" par les organisations syndicales. 

Le 8 août, les deux quotidiens présentent la situation de manière différente. La Tribune donne les commentaires suivants: "La CGT qui brûle d'exploiter le bénéfice de ces grèves a demandé aux cheminots et aux fonctionnaires de ne pas travailler aujourd'hui... Dans les chemins de fer où la CGT est puissante la situation est incertaine..." Le Patriote précise " que la Fédération CGT ne signe pas d'ordre de reprise" et s'attarde sur les revendications des cheminots: "non au recul des limites d'âge et aggravation des conditions de travail, de mise à la retraite, licenciements d'auxiliaires, avec l'arrêt de tout avancement et la compression des effectifs, atteinte au régime de Caisse de Prévoyance, démembrement."

En 2013, il y a moins de 160 000 cheminots. En 1953, les employés du chemin de fer étaient environ 400 000. L'âge de la retraite est repoussé de plus de deux ans et demi pour le moment.

Le 8 août, La Tribune annonce que FO et la CFTC donnent l'ordre de reprise aux cheminots et aux services publics. Mais la CGT appelle à continuer la grève sur cette journéeLe Patriote nous apprend que les postiers renvoient les ordres de réquisition. Nous verrons plus loin ce qui s'est passé à ce sujet avec les cheminots. Par contre, ceux de Saint-Etienne décident avec la CGT, la CFTC, les Autonomes et FO une grève illimitées dès minuit le 11 août 1953 et cette nuit-là, un appel à tous les cheminots est ainsi rédigé: " le gouvernement vient de prendre un premier train de décrets. Messieurs Laniel, Reynaud, Faure n'ont pas l'intention de s'arrêter là. Notre statut est mis en cause (limite d'âge et calcul pour la retraite). Nous appelons à la grève immédiate dans l'unité et jusqu'au succès."

Il est signé par Duchesne et Gallet (CGT), Vallat (FO) et pour la FGAAC (conducteurs autonomes) par Glaise et Michel. 

Au niveau national les Fédérations CGT et FO demandent une cessation immédiate du travail dans les chemins de fer.  Malgré tout, le gouvernement lance le 11 août le premier train de décrets et prend des mesures pour réquisitionner certaines catégories de personnels à la SNCF et aux PTT.

Le 12 août, La Tribune rend compte d'une allocution prononcée par le Président du Conseil. Il déclare notamment: " Je dis non à la grève... La grève ne sert à rien... Nous voulons une France prospère... Je vous pose simplement la question: est-ce normal que des services publics en arrivent à compter autant d'agents retraités qu'en activité ! Nous croyons que l'oeuvre que nous avons commencée est salutaire, nous croyons que notre devoir est de la poursuivre."

Que disent Sarkozy et Hollande en 2008 ou 2013 sinon la même chose. Le 17 août, La Tribune parle d'un échange avec les centrales syndicales "libres" (les guillemets sont le fait de la rédaction de l'IHS). Laniel déclare que "les caisses sont vides et qu'il n'y aura pas de discussion sans reprise du travail..." Vous avez dit caisses vides, c'est bizarre, comme c'est bizarre. Il y a peu quelqu'un a dit la même chose. 50 ans après on retrouve les mêmes arguments réactionnaires et les mêmes méthodes de pourrissement des conflits.

A deux heures du matin, dans la nuit du 20 au 21 août, profitant d'une reprise des négociations, FO et CFTC signent un accord et demandent la reprise du travail pour le 21. La CGT maintient la grève. La Tribune estime que cela crée une indécision syndicale à la base suite au flou des accords et de certaines sanctions non levées. De multiples réunions essaient de préciser l'interprétation à donner aux accords. Le gouvernement apporte aussi quelques précisions et abandonne certaines sanctions.

Face à ces multiples manoeuvres, la grève s'effrite. Le Patriote le 26 annonce que la CGT "organise la reprise du travail suite à la trahison de la CFTC, FO et Cadres Autonomes ordonnant la fin du conflit dans la nuit du 20 août alors que tous les services SNCF étaient bloqués." La Fédération Autonome des mécaniciens et chauffeurs prend la même décision le 23 août.

Dans la métallurgie, les mines, le gaz et l'électricité, le bâtiment, les transports, le mouvement revendicatif est toujours aussi puissant. La Fédération CGT s'adresse aux cheminots: " Organisez la reprise du travail en bloc et sous d'autres formes, dans l'unité, continuez la lutte pour les revendications, contre les décrets-lois, les sanctions." Le 6e secteur CGT (structure syndicale regroupant les syndicats cheminots de la Loire et d'une partie de la Haute-Loire) déclare dans Le Patriote du 26 août: "seule la CGT au quinzième jour de grève reste dans la lutte."

Il y avait 17 000 locomotives avant la guerre. A la Libération, il n'en reste que 3000. En 1946, dans le cadre du Plan Marshall, la France commande 1340 locomotives 141 R aux Etats-Unis et Canada. 1323 seront livrées.17 resteront au fond de l'Atlantique suite au naufrage du bateau les transportant. Très goumande en charbon, énergie rare et chère à l'époque, 603 verront leur chauffe charbon passer au mazout. En mai 1946, un magnifique prototype 242 A1 sort des ateliers de La Péronnière de Saint-Chamond, filiale des Aciéries de la Marine. Conçue par André Chapelon, elle restera un exemplaire unique, utilisée jusqu'en 1954, détruite trois ans plus tard. Toutes les usines de la vallée du Gier et de l'Ondaine ayant contribué à sa réalisation disparaîtront au fil des années suivantes avec la mise en place de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier. En 48, ce sont les Ateliers du Creusot (Schneider) qui construiront 35 locomotives de type 241 P dont les dernières circuleront sur le réseau jusqu'à la fin des années 60. Dès 1953, la SNCF envisage le remplacement de la traction vapeur. La locomotive Diesel de moyenne puissance apparaît comme la meilleure solution en traction autonome avec les BB 63000.

Photo Dazaud St-Etienne, archives IHS 42, Claude Liogier.

Conséquences et solidarité

Le PCF et la SFIO demandent la convocation de l'Assemblée Nationale. Des dirigeants CFTC et Autonomes cheminots adhèrent à la CGT.

On retrouvera le même phénomène en 1995 d'adhésions à la CGT de syndiqués CFDT suite au lâchage par cette organisation syndicale de la grève des cheminots. Marcel Thibaud, secrétaire général de l'Union Départementale CGT signale 74 adhésions aux métaux Papenaud à Rive de Gier, 30 aux PTT de Saint-Etienne, des dizaines chez les cheminots. Le 6e secteur CGT utilise Le Patriote du 9 août 1953 pour exiger la réintégration de deux cheminots, Achard, mécanicien au dépôt de Roanne accusé de sabotage pour avoir, sur ordre du comité de grève, tombé le feu aux machines de ce dépôt, afin d'empêcher leur avarie. L'autre est le dénommé Vilette, à Melun, accusé de menaces et insultes.

La CGT signale aussi que deux cheminots, malades pendant la période de grève, sont avisés qu'ils étaient considérés en absence illégale et sans solde jusqu'à la fin de la maladie. Le Patriote du 25 septembre insère un communiqué de la CGT Saint-Etienne signé René Bacher et Chazalet, de la CFTC (Escot et Mazière), FO (Lorton) et Cadres Autonomes (Derive) s'élevant contre les sanctions punissant les cheminots n'ayant pas répondu aux ordres de réquisition.

Les travailleurs des Forges et Aciéries de la Marine par Lucien Marcon apportent 2262 francs afin d'aider à la lutte contre la répression. Celle-ci continue puisque Le Patriote dans son édition du 5 octobre donne l'information du syndicat CGT de Saint-Etienne que quatre cheminots comparaissent devant le conseil de discipline.

Le lendemain, le même journal informe que la Fédération CFT appelle à des actions à partir de ce même jour pour le paiement des jours de grève, l'annulation des sanctions, l'abrogation des décrets-lois, l'augmentation des salaires, retraites et pensions. L'Assemblée Nationale se réunit en session extraordinaire. Le groupe communiste dépose une motion de censure concernant les décrets-lois sur les statuts, les sanctions, les retenues sur salaires.

La SFIO refuse de s'y associer.

Le 14 octobre, Le Patriote annonce que le secrétaire général de la Fédération CGT des cheminots, Raymond Tournemaine, est convoqué chez un juge d'instruction à propos des réquisitions en application de la loi du 11 juillet 1953. Cette loi porte sur l'organisation générale de la nation pour le temps de guerre. Pierre-Louis Berthon explique plus loin comment furent utilisées les réquisitions contre les cheminots.

La même chose vue par la C.G.T.

Pour connaître le point de vue de la CGT, il y a un ouvrage de référence publié en 1967 par les Editions Sociales: Les cheminots dans l'histoire sociale de la France, de Joseph Jacquet qui fut président de l'Institut d'Histoire Sociale C.G.T. de Rhône-Alpes.

Nous sommes en 1953.  " Le printemps se termine par une poussée de fièvre et annonce un été chaud. Ethel et Julius Rosenberg meurent, assassinés par les forcenés de la guerre froide et de l'anticommunisme... Après trente six jours de marchandage, Joseph Laniel devient le cinquième président du conseil de la seconde législature de la IVe République. Doté de pouvoirs spéciaux, cet industriel normand fortuné va tenter l'impossible. Il croit pouvoir bénéficier de deux avantages: la division des forces syndicales au niveau des directions fédérales et confédérales et les vacances; il attaque donc de front par une série de mesures dont le moins qu'on puisse en dire c'est qu'elles sont impopulaires: augmentation des impôts et des loyers, attaques contre la Sécurité Sociale et les régimes de retraites particuliers.

La commission administrative de la C.G.T. réunie le 23 juillet appelle les travailleurs à riposter dans l'unité; ainsi s'engage un processus qui conduira la classe ouvrière à mettre en échec une partie des plans gouvernementaux. A l'initiative du bureau confédéral, la journée du 4 août, date de la réunion du conseil supérieur de la Fonction publique, est retenue comme journée nationale d'action; l'abstention des dirigeants confédéraux de Force Ouvrière gêne un peu et la journée revêt un caractère de lutte unie en particulier chez les postiers. Le 5 et les jours suivants le travail ne reprend pas aux PTT de Bordeaux qui entraînent dans leur sillage les fédérations postales, celles du Gaz et de l'Electricité, celle des Cheminots, pour 48 heures au grand dam de la bourgeoisie qui se sent trahie par Force Ouvrière (de l'aveu même du journal Le Figaro du 7 août traitant les consignes de légères et peu réfléchies).

Le décret 53.711 recule l'âge de la retraite pour les entreprises nationalisées; il atteint les cheminots dans ce qui leur tient le plus à coeur, leur régime de retraite de 1911 et déclenche la seconde phase de la bataille. Les 8 et 9, le travail n'a pas repris en totalité et le 10, le Bureau fédéral CGT décide la grève générale.

Une nouvelle "bataille du rail" commence-t-elle en ce jour anniversaire de la grève insurrectionnelle de 1944 ? Force Ouvrière passe outre aux exclamations de fureur de la presse bourgeoise à son égard et décide d'entrer dans la grève le 11 à minuit, la CFTC le 12 à midi et les cadres autonomes le 13 après avoir consulté leurs adhérents par référendum."

La C.G.T. estime à quatre millions de grévistes le 4 août sur un mot d'ordre simple: faire échec aux pouvoirs spéciaux. La répression ne ralentit pas le mouvement. 100 trains seulement par jour sont mis en service jusqu'au 22 contre 12 à 15000 ordinairement.

En pleine période de vacances, des milliers de postiers, de cheminots, de gaziers et électriciens sont dans des actions de toutes sortes: meetings, défilés. Des travailleurs ont mis fin à leurs vacances dès l'annonce de la parution des décrets-lois. Il manque 8 noms pour que l'Assemblée soit convoquée en session extraordinaire. La solidarité s'organise et des comités d'aide aux grévistes se constituent. Les femmes de cheminots se regroupent en associations et manifestent aux côtés de leurs maris.

Le ver est mis dans le fruit

Au 14e jour de la grève des postiers, le mardi 18 août, le bureau confédéral CGT adresse une demande d'audience au Président du Conseil. Le même jour, Laniel reçoit les dirigeants de F.O. et de la C.G.C., tandis que le président du groupe M.R.P. (Mouvement Républicain Populaire, d'obédience chrétienne et ancêtre du MODEM d'aujourd'hui) Robert Lafont discute avec la CFTC.

C'est ce qui fut appelé le temps des "bons offices" et le processus de liquidation de la grève est amorcé.

La nuit du 20 au 21 août amène la trahison des engagements pris devant des millions de travailleurs en lutte. Le 21, les fédération FO et CFTC des P.T.T. et des cheminots ordonnent la reprise du travail.

Le 24, la Fédération Autonome des Agents de Conduite, la CFTC et FO signent un communiqué invitant à la reprise du travail le 24 à partir de 20h. Cette décision provoque une réaction violente des cheminots qui avaient décidé à l'appel de la CGT, mais aussi de militants de base CFTC et FO, de poursuivre le mouvement.

Ce compromis accepté par les deux confédérations ne parle même pas de la levée des sanctions et poursuites judiciaires. Seule est admise la convocation de la commission supérieure des conventions collectives. L'action se poursuivra dans la quasi totalité des centres ferroviaires, dirigée par des comités de grève constitués avec des responsables de toutes les organisations syndicales des inorganisés. Des cars emmènent des délégués à Paris à l'Assemblée Nationale et auprès des directions fédérales ayant capitulé.

Mais le ver a atteint le fruit dans sa consistance. Trois semaines de grève apportent des fins de mois difficiles. L'unité à la base se devait d'être préservée. C'est pourquoi il y avait nécessité de décider la reprise du travail. Les Fédérations des cheminots, des métro-bus et des postiers la fixe au 26 août, celle de l'éclairage au 27.

La rentrée s'effectue avec le soucis de poursuivre la lutte par l'intermédiaire des comités de grève transformés en comités d'unité d'action. Le travail reprend après le défilé des grévistes sanctionnés en tête des cérémonies devant les plaques commémoratives des victimes de la guerre et de la barbarie nazie. Les résultats restent néanmoins appréciables: abandon des décrets-lois, donc le régime de retraite sauvé, augmentation de 15% des traitements les plus bas, renoncement aux attaques contre la Sécurité Sociale et réunion de la Commission supérieure des conventions collectives; après deux ans de vaines réclamations le salaire minimum est augmenté de 45% (de 100 à 145 F).

Dessin de Michel Gagliano publié dans "Le Train de 1968" de Roger Fiasson. Des cheminots sont revenus de vacances exprès pour participer à la grève.


Le témoignage d'un acteur de l'époque

Pierre-Louis Berthon avait vingt-cinq ans au moment des faits. Il reste l'un des rares témoins survivants ayant participé en tant que dirigeant syndical à cette grève. Il était alors délégué du personnel et membre du bureau syndical. Il y avait parmi les dirigeants des militants dont il n'a pas oublié le nom: Louis Eymery, Louis Duschesne, Emile Bernard, Philippe Freycon. Il travaillait alors à saint-Etienne Châteaucreux.

Comment a-t-il vécu cette grève ?

Très bien parce que massive et unitaire.

Les relations avec la hiérarchie de la SNCF n'étaient pas tellement bonnes et sujettes à affrontements, beaucoup plus abruptes que maintenant. Celles avec les autres organisations furent bonnes jusqu'à la fin de la grève où elles devinrent plus conflictuelles.

Les réquisitions étaient choquantes car nous sortions juste d'un conflit mondial où les cheminots ont tant donné pour la liberté et le combat contre l'occupation. Peu d'années auparavant, il y avait encore des tickets de rationnement. Les premières réquisitions ont été envoyées aux cheminots de la base, épargnant les dirigeants syndicaux. C'était un processus vicieux et une tentative de division entre la masse des salariés de l'entreprise et leurs responsables. Ces derniers ne reçurent leur ordre de reprise du travail que la veille ou le jour même où furent signés les accords de trahison. Il faut préciser que les réquisitions envoyées aux cheminots n'eurent pas beaucoup d'effet. Si certains retournèrent au labeur, la plupart se mirent à nouveau en grève après discussion avec les dirigeants du syndicat. La manoeuvre de la SNCF était claire: d'abord séparer les salariés de leurs responsables et ensuite essayer de punir ces derniers qui, on s'en doute, ne répondraient pas à l'ordre de réquisition.

La solidité du mouvement mit en échec ces intimidations.

A Saint-Etienne, il n'y avait pas loin de 1000 cheminots. Ce nombre et la force du mouvement était irrésistible. Et pourtant il fut déclenché au mois d'août en pleine période des vacances. Les voyageurs étaient-ils pour autant "pris en otages" comme il est devenu coutumier d'utiliser ce terme pour le moins exagéré lorsque des voyageurs sont gênés dans leurs déplacements.

Y a-t-il une différence par rapport à Mai 68.

Oui pour deux raisons essentielles: d'abord les objectifs de la grève n'étaient pas les mêmes. En 53, il s'agissait de sauver le régime de retraite des cheminots. Et en cette année là, l'action se fit sans occupation des lieux de travail, contrairement à 1968.

50 années ont été nécessaires pour que la droite arrive à ses fins. Les cheminots de 53 par leur détermination, leur unité à la base ont mis en échec une tentative rétrograde sur leur avenir. S'il est vrai que le nombre est maintenant plus petit, peut-il être moins efficace si la conscience de classe l'emporte sur l'instinct et si le mouvement syndical s'explique sur la bataille des idées ?

Tag(s) : #Histoire
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