Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

AgoraVox le média citoyen

« France Info » :
de l’art de vanter son information…
par des leurres !

Certains hommes politiques sont toujours en campagne électorale. Les médias officiels, eux, ne cessent pas d’être en campagne publicitaire. C’est leur droit. Le seul reproche qu’on leur ferait, c’est de promouvoir la qualité de leur information… par des leurres sans paraître percevoir la contradiction de la méthode (2).

 

RFI présentait récemment des leurres d’appel humanitaire pour vanter son altruisme. Depuis quelques mois, France Info choisit au contraire de faire l’éloge édifiant des reporters en mettant en scène exclusivement trois d’entre eux sur une affiche et une quatrième dans un clip, avec pour slogan « L’information est une vocation  » (1).

 

Mais comment se laisser prendre au piège des trois leurres principaux qui sautent aux yeux si on les garde ouverts ?

 

1- Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée
 
Le premier leurre est celui de l’information donnée déguisée en information extorquée  : il confère à une photo soigneusement mise en scène la fiabilité de l’instantané qui ne l’est pas.
 
Dans les quatre exemples, les personnages paraissent photographiés à leur insu et/ou contre leur gré : l’un, pensif dans une voiture, se gratte la tête un gobelet de café à la main ; une jeune femme en T-shirt, pantalon retroussé et pataugas, déjeune, le regard ailleurs, d’une boîte de conserve dans une salle à l’abandon ; un autre, vu de dos, chemine à pied sur une route de campagne ; la quatrième traverse Paris en scooter à la levée du jour.
 
Puisque toute information donnée, comme celle d’une pose étudiée devant l’objectif, n’est pas fiable, les quatre personnages feignent de ne pas poser, comme s’ils avaient été surpris et que cette image de leur vie professionnelle leur avait été extorquée : ils sont ainsi censés livrer d’eux-mêmes une image sans fard, exempte de mise en scène.
Mais qui peut douter que chacune des scènes n’a pas été savamment réfléchie et composée ?
 
Le choix lui-même du noir et blanc et de leur charge culturelle, n’est pas dû au hasard : il vise à ajouter à cette fiabilité, conférée par le premier leurre, la crédibilité d’une dramatisation feinte. Les couleurs illuminant par nature portraits et paysages sont uniformément éteintes et filtrées au triste spectre élémentaire qui, entre le noir et le blanc, les dégrade en variétés de gris, du plus foncé au plus clair.
Le métier de reporter en est ainsi assombri pour acquérir une gravité : la vie qu’il impose n’est pas rose. Rien à voir avec ces studios fantasques ruisselant de lumière où officient chaque jour les poupées pimpantes des journaux télévisés ! 
 
2- Le leurre de la fiabilité certaine de l’information recueillie sur « le terrain »
 
Les quatre exemples, d’autre part, ont en commun de présenter les quatre mêmes métonymies. L’une est, bien sûr, le matériel qui désigne le reporter : micro, magnétophone, écouteurs, voire valise-satellite d’émission. La deuxième est la mobilité, à pied, à scooter ou en voiture. La troisième est la solitude du reporter. Et la dernière est le « terrain »… qui ne ment pas ! Le reporter va sur place, sur le fameux « terrain » d’où il rapportera l’information. 
 
C’est un second leurre, en effet, de faire croire qu’il existe une relation de cause à effet entre fiabilité de l’information et présence sur « le terrain ». On ne rapporte jamais « le terrain », mais « une carte plus ou moins fidèle ».
L’information n’est qu’ « une représentation tantôt proche tantôt éloignée de la réalité ».
 
Le clip induit d’ailleurs en erreur, en insistant comme toujours sur la première phase du traitement de l’information qu’est la vérification du reporter sur place. La seconde phase est une fois de plus occultée : c’est celle de la décision de publier ou non l’information vérifiée.
Non seulement le reporter n’observe pas tout sur le terrain, mais tout ce qu’il y observe, n’est pas forcément diffusé. Contrairement à ce qui ressort des affiches, le reporter n’est pas seul. La hiérarchie de la sa rédaction décide ce qu’elle juge bon ou non de publier, selon le principe qui régit la relation d’information  : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.
 
3- Le leurre du médium donné comme le message
 
Le troisième leurre est celui qui consiste à persuader que « le médium est le message  » au lieu d’inviter, au contraire, à s’en méfier.
 
Les quatre exemples sont envahis par la présence des quatre reporters dont les images symboliques de vie frugale, austère et fatigante doivent leur conférer une crédibilité chez les récepteurs. La fiabilité de leur information est censée en découler par métonymie : des témoins qui s’astreignent à une telle ascèse, ne méritent-ils pas d’être crus les yeux fermés ? Personne de s'expose à la souffrance par plaisir, sauf à être masochiste.
 
« L’information est une vocation  », dit précisément le slogan. Par intericonicité, le mot « vocation » évoque aussitôt des métiers altruistes, comme médecins humanitaires ou religieux, qui ne sont motivés, croit-on, que par le souci d’autrui et non pas par le profit personnel. Les reporters eux aussi paient de leur personne : comment s’y résoudre sans être porté par une « vocation » d’ordre spirituel, un appel quasi divin au sens étymologique de « vocare » qui signifie "appeler" en latin ? Une autorité usurpée est ainsi attribuée en douce au reporter pour stimuler chez son récepteur un réflexe de soumission aveugle.
 
Or, ne faut-il pas une mise hors-contexte culottée pour présenter ainsi le reporter courant la planète pour le seul bien d’autrui ? N’agit-il pas sur ordre d’une direction qui a les moyens de lui assurer matériel, voyages et subsistance. Ces quatre exemples évacuent complètement les institutions médiatiques que servent ces reporters solitaires : elles ont pourtant des propriétaires et des annonceurs publicitaires qui les financent. Et on ne saurait concevoir que l’information rapportée par le reporter puissent nuire à leurs intérêts. Quelle vocation peut résister à cette contrainte des ressources au risque d’un licenciement ?
 
Obnubilée par la pieuse mythologie que la profession ne cesse pas de répandre pour sa promotion, France Info ne paraît pas se rendre compte de la contradiction qu’il y a à vanter la qualité de son information en recourant à des leurres. On en relève dans cette campagne publicitaire trois principaux : le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée, le leurre de la confusion entre « la carte » et « le terrain » et enfin le leurre du médium qui se donne comme le message.
Quel crédit accorder à un média qui, pour promouvoir son information, commence par user de leurres sans le savoir ou, pis, en le sachant ? Cette conduite déraisonnable s’explique cependant si France Info est assurée que les naïfs auxquels ses leurres s’adressent, n’y verront que du feu.
Où enseigne-t-on, en effet, la science des leurres qu’on peut appeler « la leurrologie  » ?
 
Paul Villach
 
(2) Paul Villach,
- « Une publicité culottée de RTL : la promotion de l’information par des leurres », AgoraVox, 18 septembre 2009.
- « Ce leurre pernicieux que de son échafaudage Radio France répand dans Paris », AgoraVox, 31 août 2009
- « RTL s’obstine à promouvoir la qualité de son information par des leurres !  »,
AgoraVox, 14 septembre 2010.
- « Une publicité de RFI contredite par ses propres leurres  »,
AgoraVox, 17 novembre 2010.
- « L’incroyable slogan masochiste d’Europe 1 : « l’info à chaud »  », 
AgoraVox, 21 janvier 2011
- « « L’info à vif » ? France Info pêche ses auditeurs "au vif" ?  »,
AgoraVox, 3 décembre 2009
Documents joints à cet article
« France Info » : de l'art de vanter son information… par des leurres ! « France Info » : de l'art de vanter son information… par des leurres !
Tag(s) : #Culture
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :