Joseph Stiglitz décrit la montée des inégalités
Posted: 01 Sep 2012 12:55 AM PDT
Le 5 septembre pourrait être une journée d’hommage à Keynes puisqu’outre Paul Krugman, Joseph Stiglitz sortira son nouveau livre en France, « Le prix des inégalités », dont voici donc en avant-première une analyse personnelle. Un livre là encore essentiel.
L’inspirateur des 99%
Comme il le rappelle dans la préface, le « prix Nobel d’économie » 2001 a inspiré le mouvement « Occupy Wall Street » à travers un papier intitulé « Des 1%, pour les 1%, par les 1% » publié par Vanity Fair. Pour lui, trois thèmes résonnent dans les mouvements de révolte du monde entier : « le fait que les marchés ne sont ni efficaces, ni stables ; que le système politique n’a pas corrigé les échecs du marché et que les systèmes politiques et économiques sont fondamentalement injustes ».
Pour lui, l’inégalité de notre système contribue à son instabilité, qui accentue son inégalité.
On trouve dans son analyse un écho direct du livre de James K Galbraith, qui attribuait à la montée des inégalités une part de la responsabilité de la Grande Dépression. Stiglitz dénonce le chômage comme « le pire échec du marché », ainsi que les expulsions et la baisse du pouvoir d’achat. Pour lui, il ne faut pas oublier que l’Etat a joué un rôle majeur dans les progrès des deux derniers siècles, tout comme les marchés même « s’ils peuvent aussi concentrer la richesse, faire payer à la société les coûts environnementaux, abuser les travailleurs comme les consommateurs ».
Pour lui, « les marchés doivent à nouveau être domptés et tempérés ». Parallèlement, il souligne que le rêve étasunien de l’ascenseur social n’est plus « qu’un rêve, un mythe renforcé par des anecdotes » et dénonce la montée d’une guerre des classes contraire à l’esprit de son pays. Aujourd’hui, le succès des plus riches n’apporte plus rien au reste de la population, qui souffre du chômage, de la baisse du pouvoir d’achat, et qui a été exploitée pour de l’argent avec les subprimes.
Pour lui, « la démocratie doit défendre l’intérêt général, pas les intérêts particuliers ou ceux du sommet ».
La grande divergence
Comme Paul Krugman, Joseph Stiglitz souligne qu’une personne sur six est en situation de sous-emploi, et que huit millions de familles ont perdu leur maison. Il note qu’en 2007, les 0,1% des ménages qui gagnaient le plus gagnaient 220 fois plus que les 90% du bas, qu’1% des ménages détenaient un tiers de la richesse du pays et que de 2002 à 2007, 65% des gains totaux de revenus du pays sont allés à ce même 1% (93% en 2010 !).
Et pendant ce temps, le pouvoir d’achat du reste de la population stagne au mieux. Il rappelle aussi que la mobilité sociale est meilleure en Europe.
Depuis 30 ans, « ceux qui sont dans les derniers 90% ont vu leur revenu progresser de 15% quand ceux qui font partie des 1% du haut ont connu une augmentation de 150% et ceux du 0,1% de plus de 300% ». Le top 1% reçoit 57% des revenus du capital et depuis 30 ans a cumulé près de 90% de la hausse des revenus du capital (quand les 95% du bas n’en ont eu que 3%).
Pour lui, « cela devient difficile pour ceux qui appartiennent au 1% du haut d’imaginer ce qu’est la vie en bas ».
Comme Krugman, il note que la Grande Récession a coûté la bagatelle de 15 millions d’emplois.
Il dénonce l’illusion de la croissance des années passées en expliquant que 80% des ménages dépensaient 110% de leurs revenus (en empruntant le reste) et qu’aujourd’hui, ils doivent dépenser moins de 100% pour réduire leur endettement, tout en souffrant du chômage, d’une baisse des pensions de retraites qui étaient capitalisées et alors que certains ont perdu leur maison.
Pire, le pays souffre d’un système de santé aussi cher qu’inefficace (le pays est classé 40ème par la Banque Mondiale, moins bon que Cuba, la Biélorussie ou la Malaisie pour la mortalité infantile par exemple).
Une société cassée
Stiglitz soutient que les Etats-Unis ne sont plus le pays de l’égalité des chances. Il cite une étude qui montre que seulement 25% des enfants nés dans une famille appartenant au dernier cinquième de la population en terme de revenus y restent au Danemark, contre 30% en Grande-Bretagne et 42% aux Etats-Unis. Et seulement 8% parviennent au premier cinquième, contre 12% au Royaume-Uni et 14% au Danemark. Bref, à mille lieues du rêve étasunien, le pays souffre d’une forte reproduction sociale, comme le soulignait déjà Paul Krugman dans son livre de 2008, « L’Amérique que nous voulons ».
Il souligne que seulement 9% des étudiants des grandes universités viennent des 50% de familles sous le revenu médian quand 74% viennent du premier quart…
Il souligne l’envolée des hauts salaires : les patrons des grandes entreprises gagnaient 30 fois plus que les ouvriers dans le passé, 200 fois plus aujourd’hui (et seulement 16 fois plus au Japon).
Il souligne que le niveau d’inégalités du pays approche celui de l’Iran, de la Jamaïque ou de l’Ouganda. Et il tord le cou à l’argument selon lequel trop d’égalité tuerait la croissance avec le cas de la Suède, qui a cru 0,5 point plus vite par an depuis 2000.
Pire, il souligne que cette récession est très atypique dans le sens où « si la part des revenus ont baissé, beaucoup d’entreprises font des profits importants ».
Pour lui, « ceux qui ont le pouvoir l’utilisent pour renforcer leurs positions économiques et politiques, ou au moins les maintenir. Ils essaient également d’influencer le débat pour rendre acceptables des différences de revenus qui auraient été considérées comme odieuses autrement ».
Pour lui, « les Etats-Unis ont le potentiel de devenir de plus en plus un pays d’oligarchies héritées ».
Il souligne l’effondrement du taux d’imposition marginal sur le revenu (70% sous Carter, 28% sous Reagan et 35% aujourd’hui). Il note l’injustice du taux d’imposition des revenus du capital (à 15%), qui aboutit à ce que les 400 ménages qui gagnent le plus paient 16,6% de taux d’impôt contre 20,4% en moyenne en 2007. Il trouve paradoxal que « dans un pays plus inégal que la moyenne, le gouvernement fasse pourtant moins pour corriger ces inégalités par les impôts ou les dépenses publiques ». Il souligne qu’il est impossible de détacher la contribution d’un individu de l’ensemble de la société.
Il cite Warren Buffet pour qui « il y a bien eu une guerre des classes depuis 20 ans et que ma classe a gagné ». Après ce propos introductif de constat sur l’augmentation des inégalités, Joseph Stiglitz étudie les causes et les conséquences de cette montée des inégalités.
Source : Joseph Stiglitz, « The price of inequality », éditions Norton, « Le prix des inégalités », éditions Les liens qui libèrent, sortie le 5 septembre, traduction personnelle