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L’Église de France
et la reconstitution de la droite
après la Libération
1944-1946 (1/3)

 

Annie Lacroix-Riz, professeur à l’université Paris 7

 

Communication au colloque sur « la reconstitution de la droite de 1944 à 1948 », Rennes, 22-24 mai 2003, paru in Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier, dir., La recomposition des droites en France à la Libération 1944-1948, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 111-124.

 

Charles-Roux, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège (1932-1940), considérait en avril 1933 la puissance politique de l’Église comme le fruit non seulement de sa force propre, mais de la liberté excessive que lui concédait l’État, incité par l’obsession du « bulletin de vote » conservateur à oublier que « l'accord de l'Église catholique et du fascisme italien » puis du nazisme minait sa « politique extérieure » La fusion politique avec Vichy auquel était parvenue le haut clergé et la mise en cause qui semblait devoir en résulter à la Libération menaçaient l’hégémonie exercée, directement et via les partis de droite, sur une partie notable de la population.

La quasi totalité des évêques des 94 diocèses de France s’étaient compromis par l’appui à Vichy, STO compris, et les assauts contre le camp gaulliste et allié culminant le 1er juillet 1944 dans un élan quasi général  aux obsèques de Philippe Henriot, héraut de la collaboration et de la haine anti-alliée et anti-gaulliste assassiné fin juin.

 

Les années qui suivirent la chute de Vichy attestent pourtant la récupération rapide du magistère politique perdu et la part prise par le haut clergé dans la reconstitution de la droite. La présente communication tentera d’éclairer, sur la base des archives des ministères des Affaires étrangères et de l'Intérieur et de la Préfecture de police, les divers facteurs, extérieurs et intérieurs, du prompt rétablissement de ce sanctuaire de la droite passée au vichysme, devenu le tuteur d’un nouveau parti, le Mouvement républicain populaire, sans renoncer à l’espoir de remettre en selle les vieux partis alliés.

Modalités et causes extérieures et intérieures de la restauration

Les gaullistes qui avaient depuis 1943 dressé du haut clergé un tableau global et individuel [1] accablant, souhaitaient obtenir du Vatican son épuration, seule susceptible de rétablir « la paix des consciences » ébranlée. Leur irritation contre un vichysme obstiné inspira fin août 1944 le scandale Suhard : de Gaulle mit son veto à la célébration par le cardinal-archevêque de Paris du Te Deum en l'honneur de la Libération de Paris et de l’accueil du GPRF, deux mois après sa même initiative en faveur du Ministre de l'Information milicien Henriot, exceptionnelle (« les obsèques nationales à Notre-Dame étaient jusque là uniquement célébrées pour les chefs ou anciens chefs de l'État »).

Des Affaires étrangères à l’Intérieur, les notes se succédèrent d’Alger à Paris sur les départs nécessaires, avec au sommet les prélats les plus compromis, de Paris (Suhard et son équipe, Beaussart et Courbe) à Bordeaux (Feltin) en passant par ceux de l’empire qui avaient fulminé contre les bombardements anglo-saxons et les « traîtres dissidents » (gaullistes).

 

« Des perturbations » politiques régionales et nationales, les intéressés ne s’inquiétaient déjà plus à l’automne 1944. Mgr Rémond s’en réjouit devant « un de ses familiers » de Nice, retour de Paris où il avait discuté « avec de hautes personnalités ».

 

Début 1945, on évoquait encore « 35 hauts dignitaires […] à démissionner” », mais les éventuels départs seraient motivés « “pour raison de santé”, ce qui permettra[it] de sauvegarder l’autonomie du pouvoir spirituel de l’église », tout en donnant satisfaction à la politique intérieure française.

L’épuration en frappa officiellement six

Puissance du Vatican et retour en force de la droite cléricale

La puissance du Vatican avait crû en fonction de l’importance que lui accordaient les États-Unis, comme elle avait grandi au rythme de l’« Apaisement » envers les puissances de l'Axe et de leurs effets sur la politique intérieure française. Érigé en tuteur idéologique de la zone d'influence américaine en Europe, France incluse, le Saint-Siège avait ainsi gagné un atout qui, avec ceux de la tradition – « défense de l’Empire » via les missionnaires nationaux, tandem « bulletin de vote »-« école libre », « politique catholique » en zone d'occupation française en Allemagne – raccourcirent sa quarantaine : confronté, certes, par de Gaulle à l’humiliation de l’exigence du départ immédiat du nonce à Vichy Valerio Valeri et de la nomination auprès de lui de Jacques Maritain, catholique haï de longue date, il continua à gérer son personnel français sur la base d’une infaillibilité pontificale intacte.

 

Son pouvoir sur le haut clergé s’appuyait comme naguère sur

1° ses féaux vernaculaires, parmi lesquels le faux épuré de 1945, « ancien » auxiliaire de Suhard-Beaussart, bientôt délégué à la délation du corps, anciens de « Témoignage chrétien » en tête  

 

2° son nonce, Roncalli, arrivé à Paris début janvier 1945 après quelques mois de bras de fer : chef politique du clergé, il mena une campagne au succès croissant au fil des mois sur les thèmes de combat affichés dès 1944 des horreurs du communisme et du laïcisme; protecteur des collaborationnistes, il veilla à la réintroduction ou à la promotion systématique des « énergiques » qui avaient « suivi aveuglément la politique collaborationniste […], sous l'Occupation », dossier plus fourni dans les fonds policiers que dans les diplomatiques : sous couvert d’« avoir en France des hommes dévoués dont il conna[issai]t l’activité sous l'Occupation en faveur des prérogatives de l’Église », le Vatican assura, par ses « nominations de prélats bien connus comme pétainistes » ‑ l’entourage de l’épiscopat maintenu ‑ le retour en force des hérauts, séculiers et réguliers, de Vichy et de la collaboration pratiquement achevé en 1946 : ainsi chez les Assomptionnistes où, en mai, le « père Romuald Souarn » fut nommé « procureur général » à « la direction de l’administration des fonds [,…] repren[ant] ainsi le poste qu’il occup[ait] depuis 25 ans avec une courte interruption de deux ans (de 1944 à 1946), car on craignait que l’on ne fît des recherches sur son attitude durant l’occupation. »

 

Pie XII avait aussi, dans la phase défensive suivant la Libération, usé des rares « résistants » de la hiérarchie : il accorda « deux longues entrevues » consacrées au « problème de l’épuration du haut clergé » à l’évêque de Montauban Théas, parti à Rome du 28 octobre au 8 décembre 1944.

La flagornerie paya : « premier évêque français reçu par le Saint-Père, depuis la libération de la France [et…] infiniment touché de l’accueil qui lui fut réservé », Théas suscita trois jours après son retour (le 11 décembre) la surprise dans son diocèse en déclarant : « au moment où certains veulent nous diviser en opposant évêques à évêques, je tiens à affirmer l’inviolable solidarité de tout l’épiscopat français. »

 

Au bétonnage à droite, fond de la ligne vaticane, et au maintien de la discipline ultramontaine jusqu’au sein de Témoignage chrétien, s’ajouta une campagne précoce sur le Vatican résistant au fascisme et à l’hitlérisme avant comme pendant la guerre. L’ancien gallican Charles-Roux, désormais fort clérical chef du Secours catholique, y participa en juin-juillet 1945 dans le journal L' Époque par une série d'articles : son lyrisme sur «Le Saint-Siège et l'hitlérisme» (19 juin), « l'affaire de la Sarre», « la remilitarisation de la Rhénanie» « et l'indépendance autrichienne» (3, 10 et 17 juillet) contredit formellement ses rapports de 1933 à 1938 sur le Vatican allié de l’Italie fasciste et du IIIè Reich

 

À l’été 1946, dans une conjoncture très « occidentale » depuis les diverses élections de mai-juin  Pie XII se sentit assez fort pour appuyer l’offensive de la droite française contre les nationalisations par un forcing public maintenu pendant toute leur phase parlementaire.

Le catholicisme institutionnel donna un écho considérable à la lettre qu’il adressa à Charles Flory, président national des Semaines sociales (de Lyon), à la veille de sa session des 29 juillet-3 août de Strasbourg : il y « flétri[ssait] “les systèmes exacerbés jusqu'aux prétentions totalitaires en tous domaines, sans autre idéal qu’un égoïsme collectif ou sans autre expression qu’un étatisme tout puissant asservissant les individus comme des pions sur l’échiquier politique ou des numéros dans des calculs économiques” »; il préférait aux nationalisations qui « risqu[aient] d’accentuer le caractère mécanique de la vie et du travail en commun […] l’institution d’associations ou unités corporatives […] bien plus avantageuse au point de vue du rendement des entreprises »

 

LIRE LA SUITE DEMAIN…

 



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Tag(s) : #Histoire
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