Par Jacques Sapir · 5 août 2015
Un sondage qui vient d’être réalisé en Grèce par BridgingEurope.net sur la période du 22 au 24 juillet 2015, présente des résultats intéressants, qui témoignent d’un changement d’attitude au sein de la population grecque[1]. Le désenchantement vis-à-vis de Syriza apparaît nettement, mais sans que cela change – pour l’instant – les pronostics pour des élections législatives anticipées, qui auront très probablement lieu cet automne. Le changement le plus spectaculaire porte sur l’Euro. L’écart entre le nombre de grecs désireux de garder l’Euro et ceux désireux de la quitter apparaît bien plus faible que ce qu’annonçaient les sondages de début juillet. Par ailleurs, une majorité absolue des personnes interrogées pense que la Grèce va sortir de l’Euro. Et cela qu’ils approuvent ou désapprouvent cette option.
Il convient d’être prudent quant à ces résultats. Les sondages en Grèce sont assez peu fiables. Celui-ci, cependant, a été fait par un organisme étranger. Il utilise la méthode des appels téléphoniques. Or, cette méthode tend à minorer la part des plus démunis dans le sondage et à décaler l’échantillon, ne serait-ce que de quelques points, vers les classes moyennes, dont on sait qu’elles sont très opposées à une sortie de la Grèce de l’Euro. On peut donc raisonnablement penser que l’écart est encore plus faible que ce qui est indiqué dans ce sondage.
Une « trahison » de la part de SYRIZA
Les premières questions portent sur l’appréciation de la politique de Syriza. La politique actuelle du gouvernement est rejetée, ou considérée comme insatisfaisante, par 77% des personnes interrogées. Mais, ce qui est véritablement important, ce sont les raisons pour lesquelles cette politique est rejetée :
Tableau 1
Pensez-vous que Syriza ait abandonné son programme électoral ? |
Pensez vous que le gouvernement grec ait capitulé devant ses créanciers | ||
Oui | 83% | Oui | 76% |
Non | 9% | Non | 9% |
Ne sait pas/ne se prononce pas | 8% | Ne sait pas/ne se prononce pas | 15% |
On ne trouve que 9% des personnes interrogées qui ont répondu « non » à ces deux questions. Plus de trois grecs sur quatre estiment que le gouvernement a bien « capitulé » devant les exigences des créanciers. Le ressenti de la population grecque, si on doit suivre ce sondage, est bien celui d’une trahison.
Pourtant, et ce point est important, la rupture au sein de Syriza provoquée par lediktat du 13 juillet n’est pas ressentie comme une bonne chose.
Tableau 2
Pensez vous que la rupture au sein de Syriza soit un bon ou mauvais développement
Ensemble | Electeurs de Syriza | ||
Bon | 31% | Bon | 16% |
Mauvais | 58% | Mauvais | 79% |
Ne sait pas/ne se prononce pas | 11% | Ne sait pas/ne se prononce pas | 5% |
Ces chiffres montrent que, d’une certaine manière, la population grecque reste attachée à un gouvernement de Syriza. Compte tenu du système électoral grec, qui a été bien intériorisé par la population, une division de Syriza risque de ramener la droite (Nouvelle Démocratie ou le parti To Potami « La Rivière ») au pouvoir. En effet, les élections sont à la proportionnelle, mais le parti arrivé en tête obtient une majoration de 50 sièges. Le risque évident est que, dans le cas d’une division, Syriza arrive en seconde position derrière la Nouvelle Démocratie(qui comme le disent de nombreux grecs est un double mensonge car n’étant ni nouveau ni démocratique). Or, de cela, non seulement les électeurs de Syriza ne veulent pas, mais il semble bien que l’ensemble de la population, lassée de l’alternance entre deux formations, le PASOK (socialiste) et la Nouvelle Démocratie, également népotistes et corrompues, ne le souhaitent pas non plus. Ce résultat est confirmé par les intentions de votes suivantes :
Tableau 3
Intention de vote en cas d’élections anticipées
Syriza | 33,2% |
Nouvelle Démocratie | 18,6% |
To Potami (La Rivière) | 6,4% |
Aube Dorée | 5,9% |
KKE (Parti communiste de Grèce) | 5,2% |
Grecs Indépendant (ANEL) | 4,1% |
PASOK | 3,0% |
Divers | 4,2% |
Ne se prononcent pas | 19,4% |
Ces résultats sont extrêmement intéressants. En premier lieu, ils montrent que le bloc des électeurs de Syriza est toujours fortement majoritaire. Ensuite, les partis pro-européens traditionnels restent très faibles. Le bloc Nouvelle Démocratie – To Potami – PASOK ne ferait que 28% des suffrages. On ne voit aucune montée, suite à la déception enregistrée avec Syriza, des partis représentants la position traditionnelle d’acceptation des conditions de la Troïka. Ce bloc des trois partis, qui représentait « l’espoir » des institutions européennes, reste très faible dans les intentions de vote. De même, les partis représentants une oppositions radicale, que ce soit Aube Dorée pour l’extrême droite ou la KKE pour l’extrême gauche, ne progressent pas. Enfin, et ce point est important, il y a une hausse forte de la catégorie « ne se prononcent pas ». Or, il n’est pas impossible que, au sein de cette catégorie, on ait soit des électeurs « ex-Syriza » qui attendent pour se prononcer de voir apparaître un nouveau parti à la gauche de Syriza, soit que l’on ait aussi des électeurs qui n’osent pas avouer aux sondeurs qu’ils ont fait le choix d’Aube Dorée. Il semble bien que l’augmentation importante de cette catégorie reflète un réel problème au sein des électeurs grecs.
L’Euro, un sujet qui fâcherait moins
Un autre enseignement de ce sondage est l’évolution des représentations liées à l’Euro. Tout d’abord, il convient de relever l’extrême scepticisme des grecs au sujet de l’accord signé le 13 juillet.
Tableau 4
Pensez vous qu’un accord de « bail-out » aboutisse à une amélioration des conditions sociales et économiques de la Grèce ?
Ensemble | Electeurs de Syriza | ||
Oui | 8% | Oui | 7% |
Non | 73% | Non | 82% |
Ne sait pas/ne se prononce pas | 19% | Ne sait pas/ne se prononce pas | 11% |
Ce qui est frappant, ici, c’est la relative unanimité des réponses. Massivement, les personnes sondées ne pensent pas que les conditions économiques et sociales de la Grèce seront améliorées par un accord avec les créanciers. Visiblement, l’accord du 13 juillet est bien perçu pour ce qu’il est : une capitulation qui n’entraînera aucune amélioration de la situation. La perspective d’une sortie de l’Euro est désormais vue comme inévitable, et le pourcentage séparant les avis favorables et opposés à cette sortie se réduit. On était à près de 75% d’opinions opposées à une sortie de l’Euro à la fin juin.
Tableau 5
Dans les circonstances présentes préférez-vous rester ou sortir de l’Euro | Pensez vous qu’un GREXIT ait été évité | ||
Rester | 41% | Oui | 32% |
Sortir | 36% | Non | 58% |
Ne sait pas/ne se prononce pas | 23% | Ne sait pas/ne se prononce pas | 10% |
En un sens, la seconde question est même plus importante que la première. Si la population « croit » en une sortie de l’Euro (le Grexit), elle se comportera comme si cette sortie devait survenir, en particulier du point de vue de son comportement face au système bancaire. Dans ces conditions, une sortie risque fort d’être inévitable. C’est le phénomène connu sous le non d’anticipation « auto-réalisatrice ». Le fait que 58% de la population pense qu’une sortie est inévitable va peser considérablement sur les comportements économiques et financiers des ménages et des entreprises. Mais, il faut aussi noter que le nombre de personnes sondées qui préfère rester dans l’Euro semble s’être profondément effondré depuis moins d’un mois. Il n’y a plus aujourd’hui que 41% des personnes sondées à vouloir rester dans l’Euro, face à 36% de personnes considérant qu’il serait préférable que la Grèce sorte. La marge de 5% entre les deux positions est très faible et, vraisemblablement correspond à la marge d’erreur d’un sondage réalisé par téléphone.
On assiste donc bien à un véritable retournement de l’opinion sur ce point.
Jacques SAPIR
[1] Ce sondage peut être téléchargé à l’adresse suivante :http://www.bridgingeurope.net/uploads/8/1/7/1/8171506/be_nationwide_poll_july2015.pdf
SOURCE: