Jean-Pierre Raffarin explique ici pourquoi l'Union européenne ne devrait pas s'isoler du duo Chine-Russie et assure qu'un triangle Europe, Russie, Chine peut aussi être un triangle de prospérité.

Jean-Pierre Raffarin est sénateur de la Vienne et ancien Premier ministre de 2002 à 2005 sous la présidence de Jacques Chirac.

La montée en puissance des BRICS n’a pas été prise très au sérieux en Occident ces dernières années. Il a fallu la création d’un nouvel outil financier pour que le monde perçoive que les BRICS constituent un réseau de solidarité disponible pour les opportunités à venir. Réseau neuf, bien utile, pour dépasser les vieux contentieux liés à l’histoire ou à la géographie, liés surtout, en ce qui concerne la Russie et la Chine, à la compétition pour le leadership communiste. Dans un monde particulièrement agité, les BRICS fournissent à la Chine et à la Russie un cadre stable de discussion et une fertile plateforme d’échanges. On se souvient qu’à l’occasion de l’assemblée générale de l’ONU les membres des BRICS se sont abstenus, y compris l’Inde, à propos de la question ukrainienne.

Au moment où les États Unis profitent de cette crise ukrainienne pour isoler la Russie, celle-ci profite de l’organisation du sommet des BRICS, à Oufa, pour afficher ses solidarités.

Plus l’Ouest ostracise et « sanctionne » la Russie plus elle se tourne vers l’Est. Les dirigeants chinois ne découragent en rien ce rééquilibrage et les visites officielles à Moscou se sont multipliées à partir de la première visite à l’étranger de Xi Jinping, dans ses nouvelles fonctions. Les sujets de proximité sont nombreux, les intérêts communs aussi ( Énergie, Investissements, Route de la soie, opportunités en Sibérie, sécurité,...), le principal restant la critique commune des pressions américaines pour guider le monde et surtout influencer les positions de l’Europe ce qui va à l’encontre de la vision chinoise du monde multipolaire et qui, du côté russe, est perçu comme une menace à la frontière ukrainienne. Les ratés de la gouvernance mondiale pour stabiliser la croissance ou l’incapacité de l’occident à réformer les instances internationales (ONU, FMI,..) créent aussi un climat favorable au rapprochement sino-russe.

Le pivotement américain vers l’Asie pacifique inquiète, autant les chinois que la stratégie qui vise à faire de l’Amérique le premier partenaire de l’Iran préoccupe les russes.

Pourtant, les désordres du Monde et notamment la « guerre » contre tous les terrorismes devraient rassembler davantage les grandes puissances. Évidemment les critiques permanentes adressées au Président Poutine ou au régime chinois ne créent pas un climat propice à l’amélioration des relations.

Dans ce contexte la responsabilité de l’Europe est engagée.

Au nom des valeurs de notre politique étrangère mais aussi de la construction européenne, il n’est pas possible d’admettre la gestion russe de la crise ukrainienne. La France a eu raison de s’engager dans des négociations de sortie de crise selon le format « Normandie ». Ce processus a cependant été engagé bien trop tardivement.

L’argument stratégique à mettre aujourd’hui en avant est que Chine et Russie ont toutes les deux besoin d’une Europe européenne forte. La Chine a montré par sa stratégie financière qu’elle ne souhaitait pas l’effondrement de la zone euro et la Russie conteste surtout l’Europe américaine. Dans son contentieux avec le Japon, la Chine ne parvient-elle pas à préserver certains intérêts communs, notamment économiques ?

La France ne peut pas laisser dériver ainsi les choses au risque de n’avoir plus de réels alliés stratégiques dans les crises à venir. Avec la Russie, il faut sans doute globaliser les discussions et préserver nos positions stratégiques. La diplomatie russe est puissante au Moyen-Orient et nos intérêts sont voisins en ce qui concerne les relations avec l’Iran. Avec la Chine, nous devrons un jour ou l’autre répondre à sa demande présente de partenariat sino-français en pays tiers. L’Afrique, le Monde arabe, mais aussi l’Amérique latine sont des horizons qui peuvent devenir communs.

La règle de notre diplomatie devrait être de ne jamais devoir être accusé par l’un des trois géants (Chine, États-Unis, Russie) d’être en position préférentielle. Le triangle Europe, Russie, Chine peut aussi être un triangle de prospérité. Car chaque côté de ce triangle à, en propre ses ressources humaines et naturelles, ses atouts financiers, des besoins en emplois, en revenus, en stabilité à satisfaire.

La question posée aujourd’hui par le rapprochement sino-russe est celle de l’indépendance de la politique européenne, de l’identité même de l’Europe, et donc du rôle leader que devrait jouer la France. Des initiatives sont à prendre, par les responsables politiques comme par les acteurs de la société civile. La France a pu le faire avec François Mitterrand, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, en s’alliant avec d’autres pays européens qui comptent sur ce dossier crucial.

Cette opinion a initialement été publiée 

sur le site du Huffington Post.