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L'épreuve de force opposant le gouvernement Couillard et les syndicats représentant près d'un demi-million d'employés des secteurs public et parapublic s'est transporté dans les rues de Montréal, de Québec et d'autres villes de la province, mercredi, à l'occasion d'une journée de grève nationale qui a paralysé la plupart des écoles, des établissements de santé et des ministères.
« C'est la plus grande grève nationale depuis 1972 dans le secteur public », a affirmé le président de la CSN, Jacques Létourneau, dans un point de presse donné à Montréal aux côtés de son homologue de la FTQ, Daniel Boyer, et de la porte-parole du Secrétariat intersyndical des services publics, Lucie Martineau.
À Montréal, des milliers de membres de ces syndicats, qui font partie des 400 000 employés de l'État représentés par le Front commun intersyndical, se sont réunis vers midi place Émilie-Gamelin dans le cadre de leur quatrième journée de grève.
Le mouvement, qui se répercute partout en province, est allé de l'avant malgré la conclusion récente d'une série d'ententes sectorielles touchant les employés du soutien scolaire, les fonctionnaires et ouvriers, ainsi que les professeurs de cégep.
Au même moment, les membres de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), qui représente un tiers des enseignants du primaire et du secondaire, se sont réunis en fin d'avant-midi au square Victoria. Ils ont ensuite rejoint leurs collègues du Front commun place Émilie-Gamelin, avant de marcher dans les rues du centre-ville.
« On trouve que c'est profondément méprisant de la part du gouvernement, a commenté Alain Marois, vice-président à la vie politique à la FAE. Nos installations étaient réglementaires. C'est un exemple très précis de la façon dont les enseignants sont traités à la table des négociations »
À Québec, des milliers de syndiqués se sont aussi rassemblés mercredi midi devant le ministère de l'Éducation, sur le boulevard René-Lévesque, après avoir marché du parc Victoria vers la Haute-Ville.
Le débrayage de la FAE se poursuivra jeudi et vendredi. Il touche 800 écoles de certaines régions, dont Montréal, Laval, les Laurentides et l'Outaouais, contraignant les parents à trouver des solutions de rechange.
Une lutte pour l'appui de la population
Devant l'impasse à la table centrale, où il est question des salaires et du régime de retraite, les chefs syndicaux ont affirmé à l'unisson qu'ils ne négocieraient pas la « détérioration des conditions de travail » de leurs membres ni leur « appauvrissement ».
Les leaders du Front commun intersyndical continuent de rejeter l'offre salariale de 3 % sur cinq ans soumise par le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, et déplorent de ne pas avoir obtenu de réponse à leur contre-proposition, présentée le 18 novembre dernier.
« Les négociations avancent au niveau sectoriel, mais à la table centrale, il n'y a pas de nouvelle proposition sur les paramètres salariaux », affirme Jacques Létourneau. « Même s'il y a un exercice de relativité salariale qui est en train de se faire [...] ça ne peut pas acheter un règlement. »
« Je pense que la population est toujours de notre bord », a encore dit M. Létourneau, évoquant des sondages récents selon lesquels plus de la moitié de la population appuie leurs revendications, conteste les choix budgétaires du gouvernement et croit que Québec négocie mal.
« Il y a un dernier bout encore à régler, et c'est pour ça que nos membres sont là aujourd'hui », soutient pour sa part Daniel Boyer. « On veut forcer le gouvernement à négocier de bonne foi les derniers bouts qui restent. De grands bouts évidemment : les salaires, les retraites, ce qui se passe à la table centrale ».
Invité à réagir aux propos du premier ministre Couillard, qui a dit laisser le soin à la population de juger le débrayage des syndicats, M. Boyer a répliqué : « La population jugera le gouvernement aussi ».
« La moitié des secteurs n'ont pas encore d'entente [sectorielle, NDLR], mais le salaire et la retraite, ce n'est pas rien », a ajouté Lucie Martineau, en soulignant que la « marge de manoeuvre » récemment évoquée par Philippe Couillard ne s'est toujours pas matérialisée à la table des négociations.
La FAE n'est toujours pas prête à reprendre les négociations
Le président de la FAE, Sylvain Mallette, dénonce de son côté non seulement l'impasse à la table centrale, mais aussi à la table sectorielle, que son syndicat a quittée le 3 novembre dernier. « Il n'y a pas d'avancée, il y a du surplace », a-t-il résumé à ce sujet.
M. Mallette dit que son syndicat a rétabli les « voies de communication » au cours des dernières heures, mais qu'il n'est pas question d'un retour à la table sectorielle pour le moment. Il dénonce notamment un « blocage idéologique » du côté patronal, qui refuse de voir les enseignants comme « premiers experts de la pédagogie ».
M. Mallette a aussi remercié les parents qui appuient ses membres et qui ont compris, selon lui, que la FAE cherche à défendre l'école publique en général, et leurs enfants en particulier.
« La lutte que notre personnel en éducation mène dans les deux réseaux, c'est une lutte pour la réussite des élèves, pour les jeunes, pour les étudiants », a fait valoir la présidente de la CSQ, Louise Chabot, dans une entrevue à ICI RDI. « Le personnel [...] aurait beaucoup préféré une annonce d'une entente de principe. »
« Même si ça cause des soucis, il faut le reconnaître et remercier les parents pour leur appui. Ce qu'on veut, c'est pas de dérangement à long terme », a-t-elle ajouté, en rappelant que les syndiqués exercent « un droit légitime pour signifier au gouvernement que nos services sont précieux. »
Coiteux persiste et signe
Malgré cette grande grève nationale, Martin Coiteux est demeuré imperturbable. Bien qu'il ait concédé que la grève est légale, il s'interroge sur sa légitimité, étant donné les « très grandes avancées » faites selon lui aux tables de négociations au cours des dernières semaines.
« Cette grève prend en otage encore une fois la population et prive les élèves d'aller en classe, complique la vie des parents qui ont des enfants d'âge scolaire. Est-elle pertinente à ce stade-ci, cette grève? Quand on pose la question, on y répond », a affirmé le président du Conseil du Trésor en matinée sur ICI RDI.
« Ça a beaucoup progressé parce qu'on a travaillé avec les syndicats en partenaire et non pas dans le cadre d'un rapport de force. On a progressé sur le plan des relativités salariales. Ça, c'est de l'argent sur la table qui va permettre de hausser le salaire des enseignants », a-t-il fait valoir.
« Si les syndicats sont prêts à aborder la question du dernier droit, le gouvernement est tout à fait disposé à le faire », ajoute M. Coiteux.
« Ce qu'il faut comprendre ici c'est que ce n'est pas parce qu'on va prendre les parents et la population en otage aujourd'hui que les dernières cartes qui sont entre les mains du gouvernement vont changer, avertit Martin Coiteux. Nous, on est prêt à aller de l'avant et à régler cette question-là rapidement. »
À l'instar des syndicats, M. Coiteux prend la population à témoin. « La population veut des services publics de qualité. Ils veulent que le gouvernement ait les moyens d'investir au cours des prochaines années. Il faut rester à l'intérieur des balises financières possibles. On ne va pas retourner en déficit pour régler la négociation », dit-il.