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Avec l’aimable autorisation de la revue Inprecor

Pendant les trois mois du mouvement social du printemps 2016, on a vu fleurir des projets reprenant les pétitions de masse contre la loi travail ou les tentatives d’imposer par pétition aux députés de voter la censure, contre le 49.3, et l’essai de votation impulsé par les centrales syndicales. Tous ces projets étaient proches d’un référendum et annonçaient la fonction que le Référendum d’initiative citoyenne (RIC) joue chez les Gilets jaunes.

Sur le fond, le RIC est une sorte de réponse aux désastres démocratiques auxquels ont abouti le vote grec contre la troïka ou les votes de 2005, français et hollandais, contre la « constitution européenne », tous purement et simplement annulés par les gouvernants…

Dans le cas français de 2005, un référendum qui relevait clairement des institutions autoritaires de la Ve République, nous avons bien senti comment le vote populaire tendait à rejoindre par certains aspects un exercice démocratique, au sens ancien, celui qui permet une expression populaire directe.

Ce genre de vote fonctionne en effet à la jonction entre les deux significations courantes du mot « démocratie », où on retrouve aussi bien l’idée d’un gouvernement qui accepte de revenir périodiquement devant les électeurs, que celle d’une intervention directe des gens sur les questions qui les concernent. Entre les deux significations, il existe désormais dans la plupart des pays, même développés, des éléments évidents de crise de représentation politique, suite à des élections vécues comme de véritables hold-up, genre Trump ou Macron, pour n’en citer que deux.

Bref, bien avant le début des Gilets jaunes, la « question démocratique » se posait à nous et il était pertinent de réfléchir à sa place dans les mouvements sociaux.

Retourner aux sources de cette confrontation entre « représentation » et exigences d’expression populaire pourrait nous emmener loin car le débat sur la démocratie (pouvoir du peuple, au sens littéral) date de l’Antiquité grecque. Mais on peut aussi revenir à un passé moins éloigné dont les initiatives populaires de ces derniers mois nous ont montré qu’il pouvait ressurgir avec une facilité déconcertante.

Lorsque, dans les mouvements progressistes, on  démocratie formelle et démocratie directe, on renvoie le plus souvent à des situations révolutionnaires brèves et intenses, comme la Catalogne ou l’Aragon de 1936-1937, ou à certains moments des débuts de la Révolution russe, en 1905 puis entre 1917 et 1919, et surtout à la Commune de Paris de 1871.

Libertaires et marxistes, dans toutes leurs variétés, ont toujours donné une importance capitale à ce mouvement. Les parisiens de 1871, refusant de capituler devant les troupes du roi de Prusse comme devant l’armée du parlement de Bordeaux puis de Versailles, ont effectivement créé leur propre pouvoir populaire et tenté de le défendre, les armes à la main, jusqu’au massacre de la Semaine sanglante.

On peut partir ici d’une question toute simple : pourquoi donc les parisiens et parisiennes de 1871 ont-ils choisi de désigner ce qu’ils mettaient en place comme étant la Commune de Paris ?

La réponse, évidente, est que les Communards tentaient de prendre appui sur le souvenir de la Commune de Paris, telle qu’elle avait existé pendant la Révolution française, essentiellement en 1792-1794. Les combattants parisiens de 1871 ont fait ce choix alors qu’ils étaient séparés de la période 1789-1799 par un quasi-siècle, au moins trois générations, et alors qu’ils avaient à leur disposition tout un répertoire politique et insurrectionnel bien plus récent, avec les révolutions de 1830 et de 1848-1852.

Pourtant, les Communards ont accepté de se battre et finalement de mourir sous cet étendard de la Commune. Pas simplement pour relever un drapeau des temps jadis mais pour défendre leur mode de vie depuis le siège, toute une conception de la vie en société, des valeurs, comme on dit, incompatibles avec celles que défendaient Versailles et son armée.

Au cœur de ce mode de vie et de ces valeurs, il y avait nécessairement autre chose qu’un souvenir lointain, mais des pratiques politiques, ancrées dans la vie des quartiers et du travail, une conception de la démocratie différente de celles de l’ennemi.

Ces valeurs et ces pratiques pouvaient-elles être, malgré le temps écoulé, plus ou moins directement reliées à ce qui s’était construit pendant la première révolution française ?

On peut le penser dans la mesure où cette expérience démocratique et sociale déjà ancienne avait concerné une immense quantité de gens pendant une période de dix années, une durée exceptionnelle de mobilisation après les siècles qu’avait duré l’Ancien régime. Malgré les années de réaction, toute la société française est restée imbibée de ces souvenirs que chaque crise révolutionnaire et même chaque émeute ouvrière importante dans les années 1830 et 1840 ont ranimés, jusqu’à la Commune.

Nous savons bien que se référer à la Révolution française n’est jamais neutre et qu’en France cette référence traîne souvent à sa suite une forte dose de chauvinisme. Les hommes politiques de droite mais surtout de gauche parlent volontiers de la Grande révolution sur un ton cocardier et nationaliste.

Ce cocorico est pour eux une façon de traiter implicitement, non de la seule Révolution mais de toute l’histoire de France, de sa « contribution » à l’histoire de l’humanité, y compris de ses entreprises coloniales, comme globalement progressistes, du moins « en dernière instance ».

Il faut donc rester vigilant mais aussi être plus curieux de cette histoire que nous ne le sommes souvent, et depuis longtemps, parce que l’ignorance n’arrange rien. La Révolution française n’est pas la « Mère de toutes les révolutions » et il existe une littérature passionnante sur les courants radicaux dans les révolutions anglaise du XVIIe siècle et nord-américaine du XVIIIe, mais les dix ans du cas français méritent vraiment le détour !

  1. Révolution et invention démocratique

  2. Contradictions, reculs et avancées

  1. Une révolution mise en permanence

  2. La troisième révolution et l’idée du « référendum »

  1. La Constitution de 1793 et ses critiques

  1. Le vote populaire

  2. Deux représentations face à face

  3. Du succès politique aux mesures de mobilisation

  4. L’opposition des radicaux

  5.  Remise en ordre, mobilisation pour la guerre et mouvements populaires

  6.  La lente normalisation

  7.  Eux et nous

Serge Aberdam

Publié initialement dans Inprecor659-660 janvier février 2019

Serge Aberdam est historien, spécialiste de la Révolution française.

Tag(s) : #Histoire, #Démocratie
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