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Dans les bureaux de vote, il y a moins de monde...!

 

UN REGARD JURIDIQUE SUR L'ACTUALITÉ AVEC RÉGIS DE CASTELNAU

Il faut être clair, la gestion de la pandémie sous la présidence d’Emmanuel Macron se réalise dans un cadre juridique qui entretient parfois des rapports très lointains avec les exigences démocratiques.

Il y a déjà eu la catastrophe relative aux élections municipales de 2020, dont on a organisé délibérément le premier tour le 15 mars en sachant que le second ne pourrait avoir lieu puisque le premier confinement du 17 mars était déjà décidé.

Le deuxième tour fut organisé trois mois plus tard sans qu’une campagne électorale digne de ce nom puisse se dérouler avec les conséquences en matière d’abstention privant le scrutin de toute légitimité. La gestion des grandes villes tombant entre les mains d’équipes municipales ultra minoritaires avec les conséquences délétères que l’on connaît comme vient de le démontrer la subvention accordée à la Turquie pour la construction à Strasbourg de la plus grande mosquée d’Europe.

Philippe Torre est maire de Berlancourt (02), et avocat au barreau de Paris. Il nous confirme pourquoi un nouveau report des départementales et des régionales serait inacceptable.

Pourquoi il faut dire non à un nouveau report des élections régionales et oui à un protocole sanitaire renforcé dans l’organisation du scrutin.

 

Le Parlement devra se prononcer sur un éventuel second report des élections régionales, au plus tard le 1er avril prochain, en application de la clause de « revoyure » prévue à l’article 2 de la loi adoptée et promulguée le 22 février dernier.

Notre opinion est claire : quelle que soit la situation sanitaire au 1er avril, un nouveau report constituerait une attaque directe contre la démocratie et chacun doit se mobiliser pour l’empêcher.

En démocratie, le pouvoir est confié aux élus pour une durée déterminée connue au moment de leur élection. La prolongation sine die des mandats, en conséquence de reports réitérés, porte clairement atteinte à l’un des fondements de notre République, consacré par la jurisprudence de notre plus haute juridiction.

Le Conseil constitutionnel a explicitement rappelé que l’allongement d’un mandat suppose une prorogation limitée dans le temps[1] et revêtant un caractère exceptionnel.

L’expression démocratique doit pouvoir être exercée selon une périodicité raisonnable, rythmée par des élections locales et nationales, dont l’ordre est fixé pour aboutir à l’expression organisée et sincère des suffrages ; ceci jusqu’au point d’orgue que constitue l’élection majeure, à savoir l’élection présidentielle suivie des élections législatives.

Or le calendrier électoral 2021-2022 ne permet en aucun cas d’envisager un second report des élections régionales et départementales après juin 2021, car un tel report :

  1. engendrerait des confusions problématiques dans les comptes de campagne  des candidats se présentant aux différents scrutins, en particulier régional et départemental,  mais aussi présidentiel et législatif ;
  2. provoquerait une succession d’élections (départementales et régionales à l’automne, suivies à bref délai des présidentielles et des législatives en juin 2022, ou pire encore présidentielles et législatives en juin 2022 suivies d’élections régionales et départementales), particulièrement préjudiciable aux partis politiques ayant des ressources humaines et / ou financières limitées, c’est-à-dire l’ensemble des partis politiques français à l’exception de LREM[2] ;
  3. fausserait gravement le résultat de l’élection présidentielle de 2022, tant il est évident que la séquence élections départementales / élections régionales est le prélude, la rampe de lancement, de l’élection présidentielle et des élections législatives subséquentes.

Pour Gérard Larcher, président du Sénat et second personnage de l’Etat, un report des élections régionales et départementales à 2022 « pose des problèmes constitutionnels majeurs »[3].

Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel a quant à lui mis en garde les parlementaires en cas de nouveau report « Je crains que si jamais la décision de reporter après la présidentielle, les élections départementales et régionales, [était prise], vous ne puissiez pas endiguer une autre pandémie, qui est la pandémie politique. Vous serez suspectés de tout ! Vous serez vilipendés ! Et cela aboutira à quoi ? A plus d’abstention. »[4].

« Plus d’abstention » serait une sanction bégnine de ce déni de démocratie, alors que le souvenir du mouvement des Gilets jaunes reste encore vivace en région et même chez certains conseillers de l’Elysée, qui avaient commencé à brûler leurs archives la veille d’une des premières manifestations.

D’un point de vue juridique, l’état du droit (1) encadre la possibilité du report d’élections et nous permet d’appréhender qu’un nouveau report des élections régionales et départementales de juin 2021 à novembre 2021 et plus encore de juin 2021 à une date postérieure à l’élection présidentielle et aux législatives serait susceptible d’encourir la censure du juge constitutionnel (2).

  1. L’état du droit

Le report des élections est possible lorsqu’il est justifié par un motif impérieux d’intérêt général, et est conditionné à une stricte exigence de proportionnalité.

La crise sanitaire a justifié le report du second tour des élections municipales de mars à juin 2020 et celui des élections régionales et départementales de mars à juin 2021 en conformité avec la considération d’intérêt général de préservation de la santé et dans le respect du principe de proportionnalité.

Dans la lignée d’une décision du Conseil d’Etat[5], le Conseil constitutionnel a répondu à une question prioritaire de constitutionnalité[6] relative au report du second tour des municipales, que l’égalité entre les candidats au cours de la campagne et la sincérité du scrutin serait préservée malgré le report.

Le Conseil a estimé qu’il n’y avait pas d’atteinte à la sincérité du scrutin, dans la mesure où rien ne prouvait qu’un candidat aurait été plus pénalisé qu’un autre par ce report. Ce raisonnement semble acceptable pour un report d’élections municipales de trois mois.

Il deviendrait inacceptable au regard du principe de proportionnalité s’il était réitéré ad vitam aeternam à raison d’une persistance larvée de la crise sanitaire. Rien ne dit à ce stade, au vu de la multiplication des variants, que la pandémie disparaîtra en juin 2021, en novembre 2021 ou bien encore en juin 2022 ou en novembre 2022. Il n’apparaît pas que le vaccin contre la grippe saisonnière ait jamais fait disparaître la grippe.

De tels reports sine die constitueraient un déni de démocratie en l’absence de justification d’un motif sanitaire particulièrement impérieux. Plusieurs autres pays (Etats-Unis, Pologne, Portugal, Italie…) ont organisé depuis un an des élections majeures, dans des conditions qui ne paraissent pas avoir entraîné d’inconvénients sanitaires notables[7]

  • Un nouveau report serait scandaleux et injustifiable

Le président Macron a déclaré le 2 février que l’ensemble des adultes qui le souhaitent seraient vaccinés d’ici la fin de l’été 2021[8]. S’il était d’aventure exposé, par le président Macron au début du mois d’avril, que les élections régionales et départementales doivent être encore reportées, cela signerait l’échec anticipé de la stratégie de vaccination massive ; ce qui paraîtrait pour le moins prématuré.

***

Outre les mesures barrières désormais connues et maîtrisées par l’ensemble des citoyens (masque obligatoire, distance physique entre les personnes dans les files d’attente et entre les bureaux de vote, lavage des mains au gel hydroalcoolique ou encore aération) des mesures supplémentaires, simples à organiser, permettraient d’organiser le vote dans les meilleures conditions de sécurité sanitaire possibles.

Ainsi l’attribution de masques FFP2 à l’ensemble des scrutateurs peut être d’ores et déjà organisée ; l’ouverture obligatoire d’une fenêtre ou l’utilisation d’un lieu aéré de type gymnase sera aisée à mettre en place au mois de juin 2021 ; le personnel pourrait disposer de gants jetables et pourrait prendre la température des votants  (comme dans la plupart des hôtels à l’étranger) et veiller au respect des consignes sanitaires ; les urnes devront être isolées, séparées et désinfectées régulièrement ; les bureaux de vote pourraient être ouverts de 6 à 22 heures (aucune règle ne l’interdit).

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs jugé que les mesures barrières étaient suffisantes pour l’organisation des dernières élections municipales[9], alors même qu’elles génèrent généralement une plus forte mobilisation des électeurs que les élections régionales et départementales. Le raisonnement retenu par la haute juridiction fonctionne donc a fortiori pour les prochaines consultations électorales.

***

La jurisprudence du Conseil d’Etat relative aux personnes vulnérables va même jusqu’à confirmer l’absence de danger de contamination.

Selon le Gouvernement et les juges du Palais-Royal, même les actifs très vulnérables à la pandémie (femmes enceintes, cancéreux apparemment en rémission, cardiaques, diabétiques, insuffisants rénaux ou respiratoires et obèses) ne risquent pas d’être contaminés s’ils travaillent sur site et empruntent les transports en commun dès lors que les gestes barrières sont respectés… (ordonnances Vulnérables des 15 décembre 2020 et 11 janvier 2021, validant la décision du Gouvernement de refuser le télétravail aux actifs vulnérables). Si même une personne très vulnérable ne risque rien, selon le Gouvernement et le Conseil d’Etat, dans les transports en commun et sur son lieu de travail en travaillant sur site pendant des mois, la moyenne de la population ne court a fortiori aucun danger en allant voter, dans des conditions plus sûres qu’une rame de métro ou un bureau partagé.

***

De même, le Gouvernement (i) laisse ouverts les établissements scolaires (bien que les enfants soient nettement moins disciplinés que les adultes pour respecter les précautions sanitaires), (ii) refuse d’adopter un décret qui généralise le télétravail (exposant ainsi les salariés et agents publics aux transports en commun bondés), ainsi que les cantines scolaires (dans lesquels on retire le masque pour manger). Dans toutes ces situations, l’exécutif fait valoir qu’en réalité le risque de contamination est inexistant même s’il est quotidien et que l’impératif économique ou éducatif justifie le risque quoi qu’il arrive.

Or l’impératif démocratique n’est pas secondaire par rapport à l’éducation ou à l’économie.

Comme le risque de contamination lors des quelques dizaines de minutes au plus requises pour voter est infiniment plus faible que le risque de contamination quotidien à l’école, dans les transports en commun et dans les restaurants collectifs, rien ne pourrait justifier la suppression de l’exercice du droit de vote en juin prochain.

***

Si un nouveau report des élections régionales et départementales au-delà de juin 2021 était admis, une nouvelle page inquiétante de notre histoire démocratique s’ouvrirait. Si les élus pouvaient allonger sensiblement leurs mandats et ceux de leurs amis politiques, ils seraient tentés d’abuser de ce pouvoir. Il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore du droit de prolonger les mandats. L’élection est historiquement l’alternative adéquate à la révolution et au désordre. Ne la bafouons pas au nom d’arrière-pensées politiciennes hors de propos.

Philippe Torre,

maire de Berlancourt (02), avocat au barreau de Paris


[1] Le 6 juillet 1994, le Conseil a ainsi validé une prorogation de trois mois de la durée des mandats des conseillers municipaux afin que les scrutins municipaux ne se déroulent pas en même temps que les scrutins présidentiel et législatifs de 1995. 

[2] Une campagne présidentielle portée par des dizaines ou des centaines de conseillers régionaux et départementaux fraîchement élus en juin 2021, ce n’est pas la même chose qu’avec des conseillers régionaux et départementaux en fin de mandat prolongé par la crise sanitaire.

[3] Franceinfo, Un report des élections régionales en 2022 pose « des problèmes constitutionnels majeurs », selon Gérard Larcher

[4] Public Sénat, « Vous serez vilipendés » : Jean-Louis Debré met en garde les parlementaires contre un nouveau report des régionales

[5] Conseil d’État, 11/06/2020, 441047, Inédit au recueil Lebon

[6] Décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020

[7] Législatives en Corée du Sud le 15 avril avec taux record de participation (+8 points) ; Election présidentielle en Pologne le 28 juin avec taux record de participation (+12 au premier tour et +15 points au second) ; Régionales en Italie le 20/21 septembre avec taux record de participation (+4 à +15 points) ; Présidentielle aux Etats-Unis avec taux de participation record (+10 points).

[8] Le Figaro, Vaccin: Macron «met la pression» et fixe un calendrier ambitieux

[9] Conseil d’État, 1re – 4e chambres réunies, 15/07/2020, n° 440055

Tag(s) : #Libertés
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