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AUKUS ou la crise des sous-marins – Cartooning for Peace

Quels sont à votre avis les défauts rédhibitoires pour un homme qui veut se lancer en politique ? Si je ne devais répondre à cette question que par un mot, si je devais dire celui qui pour moi occupe la première place dans la liste, je n’hésiterais pas un instant. Je dirais : « la naïvete ». On peut être un homme d’Etat tout en étant immoral, malhonnête, paranoïaque ou alcoolique. Mais je ne saurais donner un seul exemple d’un homme qui ait marqué positivement l’histoire par sa naïveté. Au contraire, de Chamberlain à Louis XVI, on sait bien que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Il est toujours un peu étonnant d’imaginer qu’un politicien puisse être naïf. Après tout, n’évolue-t-il pas dans un milieu ou le cynisme, le choc des ambitions, la confrontation des grands principes aux petites réalités est constante ? Et pourtant… L’homme est ainsi fait qu’il lui faut croire en quelque chose qui transcende les petits arrangements de la vie quotidienne. Par exemple, on a envie de croire que les Etats-Unis sont nos fidèles alliés, que l’Union européenne est autre chose qu’une machine folle, que nos interlocuteurs sur l’arène internationale sont raisonnables et nous veulent intrinsèquement du bien.

Pourtant, les réalités nous montrent chaque jour que le monde ne fonctionne pas comme ça. Prenons par exemple les rapports avec les Etats-Unis. Nous savons depuis de longues années que notre « plus vieil allié » ne justifie guère la confiance que ses partenaires placent en lui. L’affaire « échelon » avait déjà mis en évidence le fait que les services de renseignement américains n’éprouvaient la moindre gêne à mettre sur écoutes leurs alliés. Depuis, des affaires éclatent régulièrement montrant que ces actes d’espionnage n’ont jamais cessé, au contraire. Et comme ce type d’écoutes est relativement cher, on peut supposer que la motivation de ces écoutes n’est pas la simple curiosité. L’information ainsi glanée est certainement utilisée pour faire avancer les intérêts américains, souvent au détriment de ceux du pays « écouté ». Mais nos dirigeants ne semblent toujours pas avoir compris. On fait tout un foin lorsqu’on parle d’équiper nos réseaux 5G de matériel Huawei car, voyez-vous, ces matériels pourraient contenir des « portes cachés » permettant aux méchants Chinois de nous espionner, voire de paralyser nos réseaux. Moyennant quoi, on installe du matériel Cisco qui permet aux Américains de faire exactement la même chose. Mais voyez-vous, les Chinois sont des méchants dictateurs, alors que les Américains sont des gentils démocrates. Et il est tellement plus sympathique de se faire voler les marchés et ses positions stratégiques par une démocratie…

L’affaire « Aukus » tout comme l’évacuation de l’Afghanistan ne fait que souligner la naïveté de nos dirigeants, dont on dirait qu’ils découvrent à chaque fois combien le monde est méchant et injuste. On s’indigne – ou on fait semblant de s’indigner – à l’Elysée parce que les Américains n’ont pas « consulté leur allié ». Mais pourquoi le feraient-ils ? Par courtoisie ? Dans les rapports entre états, cela n’existe pas. Par intérêt ? On voit mal ce qu’ils auraient à gagner à ménager un allié qui de toute façon n’a guère la volonté de créer un rapport de forces. Finalement, avoir piqué un contrat de plusieurs dizaines de milliards d’euros ne leur aura couté qu’une bouderie de deux semaines des frenchies et une petite phrase d’Ursula Von der Leyen. A ce prix-là, ils auraient tort de se gêner.

Nos dirigeants s’indignent – mollement, mais tout est mou chez eux – aussi de voir que l’Union européenne, dont on nous répète à l’envi que c’est la première puissance économique du monde, n’ait soutenu la position française que du bout des lèvres, et sans le moindre engagement. Là encore, cela ne peut surprendre que les naïfs qui ont pris au sérieux – honte sur eux – la vision qui veut que les rapports internationaux soient régis par autre chose que les rapports de force. Et quoi qu’en dise la propagande eurolâtre, les rapports entre pays européens restent des rapports internationaux. Nos partenaires européens ont beau proclamer leur adhésion à la « solidarité européenne », à l’heure des choix ils feront primer leurs intérêts nationaux. Les pays de l’Europe orientale sont obsédés par le péril russe et leur principale garantie est leur insertion dans le système OTAN. Les « frugaux » (Scandinaves, Hollandais, Allemands) sont obsédés par la réduction des coûts, et pensent que la manière la plus économique d’assurer leur sécurité est le parapluie américain. Ni les uns ni les autres ne prendront le risque de mécontenter l’allié américain pour les beaux yeux de la France et sa présence dans une région où ils n’ont guère d’intérêts. Cette affaire illustre encore une fois une réalité : contrairement à ce qui se passe à l’intérieur d’une nation, il n’existe aucune solidarité inconditionnelle entre européens. Nos partenaires ne nous soutiendront que si c’est dans leur intérêt. Il est grand temps que nos dirigeants le comprennent.

Mais l’exemple le plus éclatant de la naïveté de nos dirigeants – et du président de la République en premier – est l’affaire algérienne. C’est bien connu, on succède toujours à un incapable et on est toujours remplacé par un arriviste. Macron fustige donc les « incapables » qui l’ont précédé. Il condamne la colonisation comme un « crime contre l’humanité », manifeste sa volonté de résoudre le conflit mémoriel et charge à cet effet un historien d’extrême gauche aux engagements « décoloniaux » bien connu de gérer l’affaire. Tout se passe comme si Macron croyait qu’entre hommes de bonne volonté il suffit qu’on arrive à se parler et que chacun reconnaisse ses torts pour que tous les problèmes se résolvent.

Seulement voilà, les autorités algériennes empocheront les concessions sans la moindre réciprocité et sans le moindre égard pour le président qui les a faites. Pourquoi iraient-ils renoncer à la « rente mémorielle » qui joue un rôle fondamental non seulement dans la légitimation de la structure politico-militaire au pouvoir mais de l’Etat algérien lui-même ? Qu’est-ce que cela leur rapporterait de donner pour terminé le contentieux mémoriel avec la France, alors que c’est leur levier préféré pour exiger de la France concession sur concession ? Ils n’ont aucun intérêt à le faire, et ils ne le feront donc pas. Et dans les affaires internationales, c’est l’intérêt des nations qui prime encore et toujours. Alors, on a vu un président dépité reprendre brusquement d’une main ce qu’il avait donné avec l’autre, et rendre publique sa frustration en des termes fort peu diplomatiques. Mais ce dépit donne une idée de sa naïveté. Comment a-t-il pu croire qu’il en irait autrement ?

Macron est peut-être l’exemple emblématique de la naïveté de notre classe dirigeante. Ayant renoncé à peser sur la réalité matérielle, elle se contente avec le magistère de la parole, et croit aux vertus magiques du discours. Notre gouvernement n’a plus de politique énergétique, de politique éducative, de politique de défense, de politique migratoire, elle n’a que des discours sur ces sujets. Nos ministres font des déclarations qui ne se traduisent jamais par des faits concrets. Nos classes dirigeantes s’imaginent que l’éloquence d’un président – jeune et séducteur de préférence – suffira à fléchir nos partenaires européens, algériens ou américains. Mais cela ne concerne pas que Macron : lorsque Mélenchon considère inutile la sortie de l’Euro puisque la simple menace de « désobéir » aux traités suffirait à faire souffler un vent de panique chez nos partenaires, il est dans la même logique, celle qui veut que la rhétorique suffit à faire des miracles. C’est oublier que, comme disait Cromwell, « Dieu est toujours du côté de celui qui a les plus gros bataillons ».

C’est parce qu’ils cèdent à cette naïveté que nos dirigeants se prennent en permanence des tartes. Que ce soit sur l’affaire Alstom, l’Algérie, l’Aukus, la liste s’allonge des affaires où l’on s’et fait avoir, sans qu’on trouve d’autre réponse que les paroles verbales. Parce que sans un levier pour agir sur les choses – et la volonté de l’utiliser – les discours n’ont aucun effet.   

Nous ne pouvons plus nous contenter de ce type de naïveté. En matière internationale, c’est une question de vie ou de mort. Il nous faut une politique extérieure digne de ce nom. Ce qui suppose de définir quelle est la place que nous voulons dans le monde. Car la puissance, c’est d’abord une question de volonté. La Russie est une puissance mondiale, l’Allemagne ne l’est pas. Et pourtant, la première a un PIB inférieur à la seconde. Pourquoi ? Parce qu’il y a d’un côté la volonté de peser dans les affaires du monde et faire de la présence internationale une priorité nationale, et que de l’autre on se contente d’être riche, quitte à payer d’autres pour vous défendre. La question est donc simple : dans une Europe allemande centrée d’abord sur elle-même et donnant la priorité au bien-être du consommateur et à la réduction des dépenses, la vision « universelle » d’une France intervenant dans les affaires du monde a-t-elle encore une place ? Et plus fondamentalement, avons-nous, nous Français, l’envie que notre pays garde encore cette vision ? Sommes-nous prêts à en payer le prix ?

Si la réponse est « oui », alors il est urgent de se réveiller. Car dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, nous avons largement mangé ces quarante dernières années le capital laissé par les générations précédentes. Au nom des économies de bouts de chandelle, nous avons laissé se dégrader notre réseau diplomatique – et qui dit diplomatie dit renseignement – qui fut autrefois l’un des meilleurs du monde. L’équipement de nos armées a fondu comme neige au soleil, et ce qui est plus grave, nous dépendons pour beaucoup de fonctions essentielles à la défense nationale et même à la survie de la nation de l’assistance ou de prestataires étrangers – souvent américaine mais pas que.

C’est malheureux à dire, mais il y a dans la formation de nos hommes politiques trop de Droit et pas assez d’Historie. On les voit pousser des grands cris lorsque le gouvernement britannique décide – souverainement – de porter des coups de canif aux accords de sortie de l’Union européenne, mais ils semblent démunis pour y répondre. Normal : ce sont des avocats. Ils sont très compétents lorsqu’il s’agit de défendre leur position devant un juge. Mais lorsqu’il n’y a pas de juge – et dans les affaires internationales il n’y en a pas – et qu’il s’agit de peser et créer des rapports de force, ils sont perdus. Et on le voit bien dans l’affaire Aukus. On s’est fait avoir, on n’est pas content, on fait la gueule trois jours. Et après ? On déclare, comme l’a fait Joseph Borrel, qui fait semblant d’être ministre des affaires étrangères de la « première puissance économique du monde », que « l’incident est clos ». On ne va pas se fâcher avec les Américains pour si peu, n’est-ce pas ? Et puis, si on voulait se fâcher, on ferait quoi ? Imagine-t-on ces politiciens bisounours prendre des mesures de rétorsion sérieuses, de faire parler la puissance – et d’en payer le prix ?

Il est grand temps pour nos hommes politiques de revenir à un sain cynisme, celui résumé dans la formule d’un homme politique britannique : « penser le mal de son voisin est peut-être un péché, mais rarement une erreur ». Nous vivons dans un monde injuste et dangereux, et si le principe de solidarité inconditionnelle permet d’atténuer sinon d’éliminer les dangers et les injustices à l’intérieur des nations, il n’existe aucun mécanisme semblable dans les rapports internationaux. L’ONU ou l’UE restent des « machins » qui au mieux déguisent les rapports de force sous forme de rapports de droit. Quand le TPI renonce à poursuivre les faits de torture commis par les Américains dans la guerre d’Afghanistan au prétexte qu’ils ne sont pas prioritaires, on a du mal à croire que le choix repose sur des simples considérations juridiques. Et les victimes de ces actes n’ont de chance d’obtenir satisfaction dans les cadres du droit que si le rapport de forces est là.

Descartes

Tag(s) : #Macron
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