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Solidarité Internationale PCF

 

Tunisie/Présidentielles :

blanc bonnet et bonnet blanc’ au 2nd tour.

Hammami, étiqueté ‘communiste’, 3 ème avec 8%

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Article AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/

 

Trois ans après la « révolution tunisienne » qui a pris de court tout le monde, tout rentre dans l’ordre. La bourgeoisie d’affaires locale, les investisseurs étrangers ont repris la main, confisqué la démocratie : un duel entre libéraux, garants de l’ordre établi attend les Tunisiens au 2nd tour, sur fond de rivalités entre clans dirigeants, intérêts étrangers.

« C’est blanc bonnet et bonnet blanc ! »

La phrase de Duclos semble correspondre bien au 2nd tour des présidentielles tunisiennes. BCE, le vieux renard de l’ère Bourguiba/Ben Ali, ami de la France, prêt à faire l’ « Union nationale »  derrière son panache rouge et blanc face à Marzouki, le meilleur ami de la France et du Qatar, le laïc préféré des islamistes.

Pour beaucoup de Tunisiens, BCE (Beji Caid Essebsi) a représenté un moindre mal aux législatives face à Ennahdha, et encore aux présidentielles face à Moncef Marzouki, cadavre politique ressuscité par les islamistes, jouant la carte laïque contre les laïcs.

BCE, à la tête du mouvement « Nidaa Tounes » (Appel de la Tunisie) obtient 39,46 % des voix. Moncef Marzouki, actuel président, candidat du moribond Congrès pour la République (CPR), appuyé par les islamistes, le talonne avec 33,43 %.

 

La bonne surprise, attendue, est la 3 ème place de Hamma Hammami, avec 7,8 % des voix. Il était le candidat du « Front populaire », une formation de gauche radicale, regroupant forces marxistes, patriotiques de gauche, autour du Parti des travailleurs (ex-PCOT).

Deux autres candidats ont tiré leur épingle. Grâce à leur fortune, les affairistes Hechmi el Hamdi et Slim Riahi (« le Berlusconi italien » !) ont chacun récolté 5,5 % des voix. Jouant à fond la carte populiste, ils se distinguent aussi par leurs idées néo-libérales.

Une société fracturée, des clans dirigeants divisés

Interpréter ce scrutin, c’est d’abord constater une fracture profonde dans la société tunisienne, nette sur la carte du pays.

 

President_Tunisia_2014_1_round.svg.pngLe Sud, rural, plutôt religieux a voté massivement Marzouki. Il obtient 73 % à Gabès, 76 % à Tataouine, 78 % à Kebili, 80 % à Tozeur, il est aussi majoritaire à Sfax, Gafsa, Kairouan.La carte de Marzouki superpose exactement celle du parti islamiste Ennahdha (l'un en vert ci-contre, l'autre en bleu ci-dessous)

 

Le Nord, urbain, progressiste, sécularisé, a voté majoritairement BCE. Il est majoritaire à Sfax, El Kef, Beja, Sousse, obtient entre 41 et 52 % à Tunis et sa banlieue, et son meilleur score dans la ville historique de Bourguiba, Monastir (60 %). Tout un symbole.

Symbole de la personnalisation du scrutin, dans le Centre à Siliana comme à Sidi Bouzid, on a voté pour l’enfant du pays. Hammami arrive en tête à Siliana (32%), un des foyers révolutionnaires, Hamdi obtient un tiers de ses voix à Sidi Bouzid (58% !).

A l’étranger, c’est Marzouki, soutenu par les islamistes, qui vire en tête presque partout : en Allemagne (47 %), Italie  (46 %), les pays arabes (46 %), France du nord (42 %). Seule la France du sud a voté plutôt pour le « laic » BCE.

 

4252919_ide-tunisie-elections-new.jpgLe candidat de la gauche radicale, Hamma Hamammi, obtient néanmoins parmi ses meilleurs scores en Allemagne et en France du nord (entre 10 et 12 %).

Fracture géographique, division sociale qu’on peut schématiser entre un camp « progressiste, moderniste, laïc, urbain » intégrant couches moyennes et prolétaires urbains derrière BCE et un camp « islamiste, traditionnaliste, rural » regroupant religieux, prolétariat rural et propriétaires fonciers, derrière Marzouki.

Fracture dans la société, divisions dans la classe dirigeante. Le camp « Nidaa Tounes » et celui d’ « Ennadha » – qui a apporté tout son poids derrière Marzouki, seul rival crédible à BCE – regroupent des milieux d’affaires aux allégeances diverses.

Le camp « Nidaa Tounes » a la cote. La moitié des têtes de listes était des hommes d’affaires aux législatives. Pour ne citer qu’elle, la 1 ère fortune du pays, la famille Elloumi, spécialisée dans l’industrie électrique, mais aussi présente dans la finance, l’agro-alimentaire.

Parmi les autres soutiens : la famille Driss, barons du tourisme ; Sellami, qui a fait fortune dans les télécoms ; Ridha Charfeddine, qui gère un groupe florissant s’étendant de la pharmaceutique à l’immobilier ; ou Anis Bouchamaoui, présent dans le ciment, le pétrole et désormais l’importation d’équipements industriels lourds.

Cela mériterait analyse approfondie, mais on repère un certain nombre de secteurs très dépendants des contrats d’Etat, des marchés publics et des marchés européens. C’est une des raisons expliquant le caractère plus « occidental », « régulateur » de Nidaa, ses relations avec ce type d’hommes et femmes d’affaires.

« Ennahdha » s’est targué aussi du ralliement des industriels de premier plan. Dont trois des plus grandes fortunes du pays : Mohammed Frikha (PDG de Telnet, et de la compagnie aérienne Syphax Airlines), Walid Loukil (groupe financier Loukil) et la deuxième fortune du pays : Abdelwahab Ben Ayed (PDG du groupe alimentaire Poulina).

Les industriels, financiers, affairistes derrière Ennahdha sont beaucoup plus liés aux contrats avec le Golfe et à la finance islamique, à la libéralisation des secteurs publics comme à l’exploitation de la terre. D’où le caractère apparemment composite du mouvement : à la fois très libéral, financier, mais aussi terrien et islamique.

Enfin, la fracture se repère entre les parrains des mouvements, bien que rien ne soit mécanique ni unilatéral. Le Qatar mise sur Ennadha qui mise sur Marzouki – qui d’agent de la France, s’est fait commis du Qatar pendant son mandat, multipliant les contrats, liant sa politique internationale à celle de l’émirat en Syrie, Libye.

Les investisseurs européens miseraient plutôt sur BCE, ancien ambassadeur en Europe, bien connu des chancelleries occidentales (notamment allemande), ami de la France, valeur sûre, moins compromise dans l’immédiat que Marzouki. Sans que la victoire de ce dernier ne les gêne dans leurs entreprises.

Quant à Riahi et Hamdi, les deux britannico-tunisiens, plutôt proches de la finance anglo-saxonne. Si Hamdi est directement lié à l’Arabie saoudite, Riahi a des allégeances multiples, obscures : Grande-Bretagne, France, Libye, Arabie saoudite.

 

Une unité idéologique de fond : un consensus néo-libéral !

Ces fractures ne doivent pas masquer la profonde unité du « bloc idéologique » sur fond de consensus libéralsur le plan économique, d’une « Union nationale » derrière le patronat, pour appliquer la politique du FMI, via un « gouvernement technocratique ».

Les législatives, comme les présidentielles, ont réaffirmé un consensus libéral à 90 %.

On retrouve toutes les variantes du libéralisme. Celui néo-libéral, pur et dur, de Riahi et Hamdi – masqué derrière une rhétorique démagogique – faisant l’apologie de l’entrepreneuriat, dirigeant sa colère contre l’Etat.

Celui islamico-libéral clair de Ennahdha qui pointe les « réformes structurelles » à réaliser, la « finance islamique » à développer, les entreprises à privatiser, l’Etat à dégraisser, plus circonspect sur les subventions, base de son électorat. Le meilleur élève du FMI.

Puis le social-libéralisme, ou mieux le libéralisme régulé, de Nidaa Tounes. Prêt aux « réformes structurelles » de libéralisation du secteur public, du marché du travail, mais dans une planification étatique assurant cadre régulateur, politique d’investissement publique.

Des promesses de justice sociale, de démocratie réelle et d’indépendance nationale exprimées en 2011, il ne reste presque plus rien dans ce champ politique.

L’alternative identifée dans Hammami et le Front populaire

Face au jeu idéologique de la classe dominante tunisienne, parvenue à imposer autant qu’à refléter le clivage réel « moderniste/traditionnaliste », les Tunisiens avaient peu d’alternatives.

Ils en ont trouvé une dans Hamma Hammami, qui gagne près de 8 % des voix, avec un score très homogène dans le pays. Outre le pic à Siliana, c’est au Kef qu’il réalise son meilleur score avec 11 % des voix. Il obtient également des bons scores à Sfax, Tunis, Beja.

La dynamique Hammami, « Front populaire » est complexe. Ce qui est sûr, c’est qu’il a incarné l’alternative au consensus dominant, l’esprit de la révolution de 2011.

Le pouvoir, les islamistes l’ont étiqueté depuis longtemps le « communiste », l’« athée ».Opportunisme ou pragmatisme, le PCOT (Parti communiste ouvrier tunisien, d’origine maoïste) avait abandonné il y a 2 ans l’étiquette communiste pour devenir « Parti des travailleurs ».

Peine perdue, l’étiquette les suit toujours.

Le Parti des travailleurs a monté une alliance électorale hétérogène, le Front populaire, à l’unité idéologique fragile, avec d’autres formations marxistes, des nationalistes arabes. Il a flirté un temps, avant de s’en distinguer très nettement, avec certains courants islamistes.

Rejetant l’étiquette « communiste », cette étiquette lui colle à la peau. Elle lui fait perdre sans doute des voix dans certains milieux populaires religieux. Mais elle lui en fait gagner dans d’autres : le « communiste » est identifié comme le seul « révolutionnaire », résistant dans cette scène politique verrouillée par les gardiens de l’Ancien régime.

L’orage qui vient : ce que prépare le FMI pour la Tunisie

Il faudra une résistance populaire – quelle que soit le vainqueur au 2nd tour – face au plan d’austérité qui s’annonce, retardé par l’instabilité politique depuis 3 ans.

La classe dominante tunisienne, comme les investisseurs étrangers, n’ont pas accepté les hausses de salaire, le développement de l’Etat tunisien, les grèves à répétition, bref un processus de démocratisation, d’irruption des masses dans la vie politique tunisienne.

Depuis trois ans, ils ne cessent de combiner avec des personnalités comme Hamadi Jebali (leader économique d’Ennadha), Moncef Marzouki. Ils ont trouvé aujourd’hui leur médiateur idoine avec BCE. 

 Leur idéal : « union nationale » et « gouvernement technocratique ». 

Une mascarade d’élection démocratique sanctionnant un consensus idéologique (« union nationale »), qui permet de déléguer la politique à des experts économiques issus des milieux de la banque, de la finance, de la haute administration, le « gouvernement technocratique ».

Derrière cette construction, la leader de l’UTICA, Widad Bouchamaoui – dont la famille richissime a misé à 50/50 % entre le camp Ennahdha et Nidaa Tounes, révélateur ! – a joué un rôle-clé de médiation, entre les partis, les blocs, aussi avec le syndicat UGTT.

L’orage qui vient, il viendra avec le plan du FMI, une « aide » de 1,75 milliard de $ en 2013, qui s’ajoute à celui équivalent de la Banque mondiale. Une troisième tranche a été versée en avril (220 millions) mais la moitié de la somme reste à pourvoir.

En échange, le FMI attend une série de réformes drastiques, sur lesquelles nous reviendrons dans un article ultérieur : 

-          dégraissage de l’appareil d’Etat (suppressions de postes de fonctionnaires) ; modération salariale (gel ou baisse des salaires) ;

-          libre-échange (pas de tarifs protectionnistes, fin des subventions) ;

-          réforme fiscale (maintien des privilèges fiscaux pour les entreprises, choc de simplification) ;

-          réforme des retraites (recul de l’âge de la retraite) ;

-          restructuration des entreprises publiques (libéralisation/privatisation) ;

-          suppression des rigidités du Code du travail (précarisation).

Pour la mise en œuvre de ces réformes, le FMI oscille entre optimisme et craintes.

Optimisme car « il y a un consensus entre toutes les parties prenantes (au pouvoir)pour le soutien au programme de réformes appuyé par le FMI » et car « la Tunisie, après 3 années d’incertitude qui ont suivi la Révolution, parachève sa transition politique ».

Le FMI rajoute, cette « transition » se traduit par un « accroissement du soutien des bailleurs de fonds ». Autrement dit, la transition vers le maintien de l’ordre établi, loin des promesses de la Révolution, rassure les investisseurs. Tu l’as dit !

Et pourtant, le FMI exprime ses craintes. Elle ne se rapproche que d’un seul aspect : « l’intensification des tensions sociales – grèves, manifestations – pourrait ralentir la production, retarder la mise en œuvre si cruciale des réformes ».

Ce qu’ils craignent, c’est le peuple, c’est la révolution de nouveau : le pouvoir de la rue, des manifestations, les grèves. Une alternative politique qui naîtrait de ces luttes, et non d’un système politique déjà verrouillé.

 BCE devrait logiquement être élu président de la République dans quelques semaines. Les Tunisiens choisiront le moindre mal. Ennahdha comme Marzouki feront office de repoussoirs … avant peut-être d’être réintégrés dans les alliances post-éléctorales. Les Tunisiens ne pourront compter que sur eux-mêmes, le pouvoir de la rue.

Tag(s) : #international
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