Le 14 septembre, quelque 200 salariés de Transdev – la multinationale du transport – se sont rassemblés devant le siège du Conseil régional d’Ile-de-France, à Saint-Ouen. En grève illimitée depuis le 6 septembre, les conducteurs de bus (entre autres) de plusieurs dépôts se mobilisent contre la dégradation brutale de leurs conditions de travail et de leur rémunération, depuis le 1er août.
A l’occasion d’une nouvelle vague d’« ouverture à la concurrence » des transports en Ile-de-France, la direction de Transdev a balayé d’un revers de main les accords et acquis préexistants. En lieu et place, elle a imposé un « accord socle » qui se traduit par la suppression de la plupart des primes et par une extension de l’amplitude horaire telle que, dans les faits, les chauffeurs doivent désormais travailler jusqu’à 45 heures payées 35, chaque semaine.
La solidité de la grève, qui a gagné plusieurs dépôts de Seine-et-Marne, est à la mesure de la violence du coup porté par la direction de Transdev. Sur le piquet de grève du dépôt de Vaux-le-Pénil (qui jouxte Melun), où tous les conducteurs sont en grève, un militant de Révolution a recueilli des témoignages qui illustrent la colère et la combativité des grévistes.
Freddy, conducteur de bus, explique : « personnellement, j’aime ce métier, que je fais depuis 15 ans. Mais là, pour la première fois, je commence à songer à une reconversion. Si ça reste comme ça, avec les nouvelles conditions qui nous sont imposées, je vais chercher une formation et changer de métier ». Il enchaine : « C’est d’ailleurs ce que veut la direction de Transdev : elle veut une nouvelle main d’œuvre, une main d’œuvre pas chère, prête à faire ce travail pour 1200 ou 1300 euros. Elle sait que des collègues qui ont 5, 10, 15 ans de boite (voire plus) vont lâcher l’affaire, dans ces conditions. C’est pour ça qu’on est déterminés, qu’on est prêts aux sacrifices financiers qu’implique cette grève ».
Beaucoup de travailleurs ont été pris par surprise, cet été : ils ne s’attendaient pas à ce que « l’accord socle » marque un tel recul de leurs conditions de travail et de leur rémunération. Ils s’y attendaient d’autant moins qu’en amont de l’application effective de ce soi-disant « accord », la direction recevait les travailleurs par petits groupes et leur promettait que tout allait bien se passer : « ils nous ont caressés dans le sens du poil, pour ne pas trop nous chauffer. Ils nous ont dit qu’on n’allait pas y perdre. Mais dès le 1er août, on a goûté au nouveau système et aux nouveaux horaires : 42, 43, 44, voire 45 heures par semaine. On l’a tous senti passer. Les arrêts maladie se sont multipliés. Mais le pire, c’est quand on a touché notre salaire de base, sans aucune prime, fin août : entre 1500 et 1600 euros, en moyenne. On s’est dit : “c’est ça que vaut notre travail ? Entre 1500 ou 1600 euros ?” On s’est alors aperçu, concrètement, de l’importance des primes qu’on avait avant. Il s’agissait de primes pour le travail de nuit ou pour le travail du matin, quand on commence à 4h30 et qu’on doit se lever à 3 heures. Il y avait aussi une prime de repas – et d’autres petites primes qui, mises bout à bout, nous faisaient un salaire qui variait, en moyenne, entre 2100 et 2500 euros, selon le nombre d’heures effectuées et les plages horaires. »
Freddy poursuit : « Comment vont faire des collègues qui ont pris des crédits ? Comment je vais expliquer à mes enfants que, désormais, on ne peut plus partir en vacances ? La direction de Transdev nous a fait très mal au portefeuille, mais elle a aussi réduit notre temps de loisir. Comment on fait pour aller faire du sport après 9 heures d’un travail épuisant ? Comment je vais trouver l’énergie, le soir, pour aider mes enfants à faire leurs devoirs ? C’est plein de petites choses, comme ça, qui ont fait déborder le vase et nous ont poussés à commencer cette grève ».
Comme toujours, une grève aussi solide transforme la conscience des travailleurs. Freddy en témoigne : « Jusqu’alors, je venais pointer, faire ma journée de travail, et c’était tout. Je laissais aux délégués syndicaux – qui connaissent les lois, etc. – la tâche de nous défendre. Mais maintenant, je n’ai plus envie de seulement suivre ; j’ai envie d’être acteur, et qu’on soit tous acteurs. Si on est tous ensemble, on peut faire bouger les choses. Tous les grands groupes, comme Transdev, ne peuvent pas fonctionner sans nous. Si on ne travaille pas, ils n’ont rien. Et ça, aujourd’hui, j’en suis conscient encore plus qu’avant. »
Laurent, contrôleur et gréviste, lui aussi, explique : « le travail de contrôleur n’est pas facile. C’est un travail de répression. Pour moi, le but d’un contrôleur, c’est de faire baisser la fraude. Mais notre entreprise, elle, pense plutôt à faire de l’argent grâce aux PV. Donc il y a une incitation à verbaliser, avec des statistiques. Ils nous mettent la pression, nous demandent sept PV par jour, alors que sur Melun nous savons très bien qu’il y a beaucoup de misère sociale, des gens qui ne sont pas solvables. Donc on préfèrerait faire de la prévention plutôt que de la verbalisation à outrance dans le seul but de renflouer les caisses de Transdev. »
Ancien conducteur de bus, Laurent comprend parfaitement la colère de ses collègues : « les nouvelles cadences des services, pour les chauffeurs de bus, sont insoutenables. A des chauffeurs qui avaient l’habitude de faire le service du matin, ou celui du soir, on impose des doubles vacations. Bientôt ils vont nous inventer des triples vacations. Tout ça pour réduire la masse salariale et faire plus de fric sur le dos des salariés. Voilà d’où vient la révolte. »
Laurent défend l’idée de nationaliser le secteur des transports : « la nationalisation, c’est la seule chose qui nous permettra de nous en sortir, au final. C’est le seul moyen d’en finir avec les inégalités entre salariés, avec ces sociétés privées qui baissent sans cesse les coûts et qui tapent sur les salariés. La nationalisation des transports publics permettrait d’uniformiser – à la hausse – les salaires et les conditions de travail, mais aussi de garantir la stabilité de l’emploi. »
Révolution est complètement d’accord avec ce point de vue. La gauche et le mouvement syndical devraient inscrire dans leur programme la nationalisation de l’ensemble des transports, sous le contrôle démocratique des salariés. C’est le seul moyen de mettre un terme définitif à la régression sociale qui frappe ce secteur – à coup d’« ouvertures à la concurrence » et de « délégations de services publics », avec comme seul objectif de gaver les grands groupes privés.
Hier, lors du rassemblement devant le Conseil régional d’Ile-de-France, des camarades de Keolis, de la RATP et de la SNCF sont venus soutenir leurs camarades de Transdev. Il est clair que tous les travailleurs des transports rencontrent les mêmes problèmes et subissent les mêmes attaques. Lors des prises de parole, l’idée d’une lutte commune, unitaire, des salariés de l’ensemble du secteur, a rencontré un écho très favorable. De fait, c’est le moyen le plus sûr – pour les salariés de Transdev comme pour ceux d’autres entreprises du secteur – d’arracher la victoire.
Dans l’immédiat, une caisse de grève a été lancée par les grévistes de Transdev. On appelle nos lecteurs et sympathisants à y contribuer.